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la vieille dame. — Puis-je me flatter que j’entre pour quelque chose dans ce — charmante matinée ?

le vieux monsieur. — Il est vrai, madame, que j’y pensais.

la vieille dame. — Hé ! hé ! vous ne l’aurez pas sur la conscience, m’est avis. N’importe. — Mais puisque nous sommes sur le chapitre des indiscrétions, — et je vous avertis que je ne taris point sur celui-là, — qu’y a-t-il de si touchant dans la façade de ce grand vilain hôtel rouge, — que vous vous jugiez dans l’obligation de soupirer chaque matin en le regardant ? — Il y a quelque histoire là-dessous, et je vous avouerai que j’en suis curieuse.

le vieux monsieur. — Est-ce que vraiment je soupire d’une façon ostensible, madame ?

la vieille dame. — Mon Dieu, oui ! — Si visiblement que je l’ai remarqué, — moi qui n’ai jamais prêté grande attention à ces choses-là.

le vieux monsieur. — Ah ! madame, que je vois de malheureux dans ce seul mot !

la vieille dame. — Le méchant homme ! Il me refuse une histoire dont je suis éprise violemment, et me distille des fadeurs dont je n’ai que faire ! (au vieux domestique.) — Lépine, promenez un peu Zamor. (Lépine sort avec le griffon.) — Bien ! maintenant, mon cher monsieur, je vous écoute.

le vieux monsieur. — Vous avez, madame, une façon de vouloir, qui, je m’en doute assez, a toujours été irrésistible.

la vieille dame. — C’est possible, — cela ne vous regarde pas. Contez-moi cette histoire.

le vieux monsieur. — Je vous dirai qu’elle est un peu haut troussée.

la vieille dame. — Je le verrai bien.

le vieux monsieur. — Soit ! la voici : — Histoire du mouton de la présidente.

la vieille dame. — Oui-da !

le vieux monsieur. — Du temps que j’avais des cheveux…

la vieille dame. — C’était, monsieur, j’imagine, avant la grande révolution ?

le vieux monsieur. — Oui, madame, et c’est une des choses excellentes qu’elle fit disparaître. Je les avais naturellement bouclés, en manière de toison, et la poudre, que je ne leur ménageais point, venait en aide à la nature pour en faire à ma bonne mine un encadrement surprenant.

la vieille dame. — Je vous ferai observer que je suis forcée de vous croire sur parole.