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garçon qui n’avait rien, qu’un peu d’esprit ; eh bien, M. Z*** vient de lui donner son usine à conduire, plus la main de sa fille !  !

— M. Z***, son usine ? Ah çà ! mais M. Z*** est devenu fou, je suppose.

— Ne m’en parlez pas… »

Ou celui-ci :

« Vous savez bien le petit M***, qui faisait mes affaires à la Bourse ?

— Oui, — celui qui vous a donné de si bons conseils ? D’après ce que vous m’avez dit, mon gaillard, vous avez gagné deux cent bons mille francs, grâce à lui, l’an passé !

— Précisément. Eh bien, savez-vous ce qu’il a fait, l’imbécile ? Il a fait une pièce au Théâtre-Français, une pièce qui a un succès fou. C’est un garçon perdu ! Je l’ai rencontré huit jours après son équipée, et, ma foi, je ne lui ai pas mâché mon opinion. « Vous avez eu mes derniers ordres, lui ai-je dit. Si vous croyez que j’aurai confiance dans un auteur, vous vous trompez du tout au tout. Tant pis pour vous ! vous m’alliez avant d’avoir perdu la tête ; mais, aujourd’hui, vous m’offririez un empire, que je ne vous donnerais pas commission de m’acheter seulement pour cent francs de rente. »

— C’était dur ; mais il ne l’avait pas volé. Et qu’est-ce qu’il vous a répondu, le pauvre garçon ?

— Le pauvre garçon ? Vous le plaignez à présent ? Vous avez de la bonté de reste, par exemple ! Il m’a ri au nez, m’a frappé sur le ventre et m’a dit qu’il avait parié, avant que sa pièce fut jouée, qu’il perdrait ma clientèle dès que son nom serait sur l’affiche ; que ce que je lui disais ne l’étonnait donc pas et que c’était nature… »

Un dernier exemple, tiré d’un peu plus haut.

On conseillait à un président du conseil, que je ne veux pas nommer, de prendre pour collègue, dans un moment de crjse, M. X***

« Non, répondit-il tout net, X*** a trop d’esprit, il est trop fort, il nous gênerait. »

Etc., etc., etc.

Hélas ! hélas ! il faut le confesser, l’esprit a tort, la société et la sottise ont raison. Il est une foule d’emplois incompatibles avec l’esprit ; il est une foule de places où un homme d’esprit ferait tache par son éclat même et se trouverait fourvoyé, comme un diamant au doigt d’un pauvre homme. Si donc, au lieu de classer un homme, son esprit ne sert qu’à le déclasser, rien n’est plus normal que l’ostracisme qui pèse sur l’esprit.