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Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 3.djvu/68

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diaires, les assassins et les amateurs de politique qui trouvent que tout n’est pas bien dans ce monde, et qui voudraient essayer de changer quelque chose.

C’est ce que m’expliquait Emmanuel, et je pensais que l’idée d’entrer dans la politique ne me viendrait jamais.

Après cela, nous descendîmes derrière, par un petit escalier qui mène sur une place ouverte à l’autre bout, au milieu du Pont-Neuf. Quand nous eûmes traversé cette place, assez sombre, nous vîmes à la sortie la statue de Henri IV tout près de nous, et, plus loin, cette magnifique vue du Louvre que j’avais tant admirée la première fois. Elle me parut encore plus belle, et même aujourd’hui je me figure que rien ne peut être plus beau sur la terre : cette file de ponts, ces palais du Louvre et des Tuileries, ces grilles, ces jardins, à gauche ; ces autres palais, et tout au fond l’Arc de triomphe ! Non, rien ne peut vous donner une idée plus grande des hommes !

Je le disais à Emmanuel, qui me prévint que le plus beau n’était pas encore ce que nous voyions, mais l’intérieur des palais, où sont réunies toutes les richesses du monde. Cela me paraissait impossible.

Comme nous continuions de marcher, étant arrivés dans la cour du Louvre, ce fut une véritable satisfaction pour moi de contempler ces magnifiques statues dans les airs, autour de l’horloge, représentant des femmes accomplies en beauté ; qui se tiennent toutes droites, deux à deux, les bras entrelacés comme des sœurs, et qui doivent avoir au moins trente pieds de haut.

Rien ne manque à ce spectacle. Seulement, plus loin, après avoir passé la voûte du côté des Tuileries, nous arrivâmes sur une vieille place encombrée de baraques, dans le genre du cloître Saint-Benoît, ce qui ne me réjouit pas la vue. Elle était pleine de marchands d’images, de guenilles, de ferrailles, et d’autres gens de cette espèce. Deux ou trois vendaient même des perroquets, des pigeons, des singes et de petites fouines, qui ne faisaient que crier, siffler, en répandant la mauvaise odeur.

On ne pouvait pas comprendre de pareilles ordures entre deux si magnifiques palais. Emmanuel me dit que ces gens ne voulaient pas vendre leurs baraques à la ville, et que chacun est libre de vivre dans la crasse, si c’est son plaisir.

Naturellement je trouvai que c’était juste, mais tout de même honteux.