Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/219

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LE PORTAIL ROMAN DE LA CATHÉDRALE DE REIMS 191 lui. Les chroniqueurs contemporains, malheureusement fort laco¬ niques1, n’ajoutent aucun détail, et c’est, je le crains, de son autorité privée que Dom Mariot, qui, cependant, donne une copie de la lettre du pape, parle de « tombeaux de grands personnages réservés à part » pendant la reconstruction de la cathédrale et dont la perte au cours de ces troubles « a causé le plus grand dommage à l’his¬ toire ». Mais Dom Marlot est un probe et loyal historien : on peut penser que cette amplification lui a été dictée par la disparition qu’il pouvait constater de monuments et d’inscriptions décrits dans les textes sur lesquels il travaillait. Puis, si son assertion dépasse un peu le document qu’il reproduit lui-même honnêtement comme pièce justificative, elle ne fait, après tout, qu’en donner une interprétation assez vraisemblable. Les mo¬ numents démontés pendant la période de reconstruction de l’église doivent, en effet, s’être trouvés avec les autres matériaux et avoir élé employés par les insurgés rémois au même usage. Ainsi s’expliquerait la disparition ou la mutilation du gisant de notre tombeau. Alors le monument privé de son élément le plus essentiel serait resté sans emploi jusqu’au jour où, une porte étant percée pour mettre le nouveau cloître en communication avec l’église, on aurait eu l’idée d’utiliser les délicats fragments conservés. Et qui sait, d’ailleurs, si le chapitre de Reims n’aurait pas attaché au cénotaphe ainsi reconstitué une intention commé¬ morative2 dont la trace nous échappe? Mon hypothèse rencontrera peut-être bien des objections : il s’agit de savoir si elle résout plus de difficultés qu’elle n'en apporte, et je crois que quiconque aura attentivement considéré les anomalies de forme et d’iconographie que présente le petit portail de Reims conclura par l’affirmative. J’ajoute qu’elle explique encore une finesse particulièrement pré¬ cieuse d’exécution, un soin, une délicatesse qui, tout en causant au critique une surprise plutôt agréable, lui donnent en même temps l’impression de ne pas être à l’échelle monumentale. Le mot de « bijou » est toujours celui qui sc présente à l’esprit ; or, les sculpteurs 1. Tous les documents contemporains se trouvent réunis dans Pertz, Mon. Germ. Script., t. XIII, p. 81 et suiv., et analysés dans VHistoire littéraire de la France, t. XXI, p. 769, et t. XXXII, p. 2So. 2. Violletde-Duc(ouvr. cité) donne le dessin d’un tombeau de Sainl-Salvy d’Albi * qui se trouve ainsi placé dans une muraille extérieure entre deux contreforts à 3 mètres du sol. Mais la forme et les détails du monument de Reims ne permettent pas de penser que ce fut là sa place primitive.