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Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/226

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198 GAZETTE DES BEAUX-ARTS de son couronnement, ou debout au trumeau des portes. Pour la re¬ trouver seule, assise avec l’Enfant sur les bras, il faudra consulter les statues et statuettes de culte. Or, prenons-y garde, la Vierge de Reims est plus près par l’esprit, par le mouvement et par l'àme, de ces nombreuses et souvent admirables ou délicieuses images que le xmc et le xivc siècle nous ont léguées que de ses devancières scul¬ ptées en bas-relief au portail des églises romanes: celles de Paris, de Chartres, de Bourges, de Donzy, etc. Comparons-la attentivement avec un type bien connu de tous : celle de Paris, par exemple. Prenons pour à peu près semblable l’ar¬ rangement du dais, tout en constatant l’extraordinaire souplesse du rendu des courtines qui se nouent aux supports du siège; mais dans la draperie de la figure elle-même, quelle transformation ! Plus d’appa¬ rence de plis mécaniquement et régulièrement tuyautés sur les pieds, plus de sillons linéaires indiquant par un tracé tout conven¬ tionnel le dessin des membres; c'est ici une robe d’un faire déjà souple, sinon très libre, un peu resserrée du bas suivant une formule qui est celle des draperies de Laon et de Saint-Remi de Reims, mais tendue du pied aux genoux par un pli en biais très juste et très logique; c’est un manteau sous lequel on sent un corps vivant et qui se drape avec une chute naturelle et simple. L’Enfant n’est plus d’une taille disproportionnée, et, fait plus caractéristique que tout le reste, la Vierge ne le tient plus assis sur son giron, dans l’axe de son corps; elle le porte sur le bras — le bras droit d’ailleurs, comme certaines Vierges du xve siècle — et l’appuie contre son cœur. Enfin elle incline la tète comme en un signe d’accueil, au lieu de la tenir hiératiquement renversée en arrière1. Je ne sais pas s’il est dans l’histoire de la sculpture française un moment plus exquis que cette période de son initiation où, dégagée des derniers0souvenirs byzantins et romains qui flottaient hier dans sa conscience, affranchie du cauchemar peuplé de créations fantas¬ tiques et monstrueuses que fit parfois peser sur elle le mystérieux * 1. Il est vrai que M. R. de Lasteyrie dans une magisLrale étude {Monuments Biot, 1902; dont il a encore confirmé et accentué depuis les conclusions (Bulletin monumental, 1903) déclare se refusera dater la Vierge de Paris avant 1180 ou 1190. Mais il semble bien difficile (et c’est l’avis déjugés plus autorisés que moi) qu’une réaction ne se produise pas bientôt contre la tendance actuelle à rajeunir tous nos monuments, tendance qui a pour résultat de resserrer dans des limites beaucoup trop étroites tout le développement ultérieur de notre sculpture française et aboutit à cette conséquence paradoxale de faire de nos monuments du xne siècle les tributaires de ceux d’Italie et d’Allemagne