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Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/53

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GAZETTE DES BEAUX-AllTS des fonds. L’effet est tout à fait séduisant. Mais rien ne vaut la grande miniature qui ouvre les Chroniques de France1. C’est le sacre du roi entouré de ses pairs. Les personnages tout blancs, et qui semblent d’ivoire, se détachent sur un fond d’or. Le blond roux des cheveux, le rouge et le bleu des fonds, mettent seuls un peu de couleur dans cette page extrêmement pure. On ne peut s’empêcher de songer aux vitraux en grisaille de la même époque. Ils sont conçus de la même façon et atteignent, au commencement du xve siècle, à la suprême élégance. En ce genre, le chef-d'œuvre est peut-être le grand vitrail de l’église Saint-Germain de Pont-Audemer. Quelques touches de jaune d’or, quelques tapis rouges, bleus et verts, tendus derrière les personnages, rendent plus suaves à l’œil les gris et les blancs. C’est exactement l’art des miniaturistes de Charles V2. La France a souvent fait ses chefs-d’œuvre avec des nuances impondé¬ rables de gris. Notre littérature est pleine de ces délicieuses gri¬ sailles, où les étrangers ne discernent rien. Notre climat semble nous inviter à cette discrétion. Pendant la plus grande partie de l’année, Paris n’est qu’un fin lavis à l’encre de Chine. On apprend ici à sentir ce que les peintres appellent les valeurs. III Les frères de Charles V, le duc de Bourgogne et le duc de Berry, aimèrent tout autant que lui les beaux livres. Leurs bibliothèques, surtout celle du duc de Berry, furent sans doute les plus magnifiques qu’on vit jamais. Les trop rares documents qui se rapportent à ces belles collections nous apprennent des particularités intéressantes. Tous les enlumineurs des deux princes ne sont pas nommés dans les comptes, mais il se trouve que ceux qui sout nommés sont presque tous des étrangers. C’est Jacquemart de Hesdin, Pierre de Vérone, Hainsselin, ou plutôt Hansslein de Haguenau, Jacques Cône qui est de Bruges, Beauneveu, qui est originaire du Ilainaut, les trois frères Pol, ITermand et Jannequin qui viennent du Limbourg. En faut-il conclure que les livres qu’ils enluminaient (si tant est qu’on puisse les reconnaître tous) n’appartiennent point à la France, et ne méritent pas de figurer dans une exposition des Primitifs français ? En aucune façon. Tous ces artistes ont travaillé à Paris et ont respiré 1. Catalogue, n° al (franc. 2813). 2. Le vitrail de Pont-Audemer est d’ailleurs postérieur, et doit dater du com¬ mencement du xvc siècle.