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462 GAZETTE DES BEAUX-ARTS Uillusion des apparences. A cet égard l’évolution impressionniste demeure française au premier chef; elle s’explique par notre humeur instable et par notre tact subtil; elle s’accorde avec notre hâte et avec nos fièvres.; ne sommes-nous pas gens pressés de vivre, en quête de sensations rapides, intenses, sans cesse renouvelées? Les artistes d’ascendance étrangère — Jongkind, Pissarro, Sisley — qui contri¬ buèrent à déterminer le mouvement, ont, par le fait même, abdiqué leur nationalité. M. Guillaumin leur survit, lui aussi ouvrier de la première heure ; il a le franc parler rude de nos gens de campagne ; il s’exprime au bref, sans s’attarder à conter les choses par le menu ; ses synthèses de nature se haussent au décoratif et déjà il a trouvé, pour partager son ambition, M. Silice, M. Charles Peccatte, le peintre des bouleaux dont le tronc ivoirin raye le ciel bleu et l’or fauve des bois roussis par l’automne. Certes l’erreur serait grande de limiter au paysage l’action de l’impressionnisme; mais nulle part elle ne s’attesta aussi impé¬ rieuse; la conception du genre ne s’est pas moins modifiée que les moyens d’expression; on a pris le goût de l’immédiat et de l’instan¬ tané; certains tableaux semblent aperçus à travers le poudroiement d’une poussière pailletée; la saisissante vision de La Porte Saint- De?iù de M. Tarkhoff est celle même que le monument offrirait entrevu dans le vertige d’une course d’automobile ; M. Truchet, M. Benjamin Viau, M. Thomas, fixent, à un instant élu de leur rutilance éphémère, la diaprure des jardins en fleurs et l’embrase¬ ment de la terre provençale sous le feu du rayon implacable. C’est encore, de la part de M. Boggio, de M. Bouche, d'autres hosannas à la gloire du soleil, de la lumière, et, parmi tant de turbulence et d’éclat, j’admire M. Francis Jourdain de ne s’être point dérobé aux secrètes préférences de l’instinct, et d’avoir évoqué par un ciel bas, gris, chargé de neige, la mélancolie du crépuscule, dans la ban¬ lieue stérile et déserte, à la tombée de la froide nuit. M. Paul Cézanne est, entre les fondateurs de l’impressionnisme, celui qui est demeuré le plus fidèle à Courbet; il reste dans le groupe un isolé à la façon de M. Degas; sa peinture n’offre avec celle de ses compagnons de lutte aucun de ces traits communs si fréquents entre M. Monet et Sisley, entre M. Renoir et Berthe Morizot, entre Pissarro et Seurat; il n’aspire guère à l’éclaircissement de la palette, s’inquiète peu des irisations de la lumière et n’utilise pas la décomposition du ton qu’il veut, au rebours, franc, posé librement et par simples à- plats; les visiteurs des Primitifs français l1 apparentaient naguère