Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/552

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ARMAND CHARNAY 477 espérances. Sa santé, assez délicate pendant son enfance, amenait des interruptions assez fréquentes dans ses études : il avait besoin d’air et il étouffait dans les classes. Le pays qu’il habitait était d’ail¬ leurs trop pittoresque pour que la précoce vocation qui déjà fer¬ mentait en lui n’y trouvât pas les incitations les plus favorables pour se développer. Sans guide, il s’exerçait à crayonner des bons¬ hommes, des animaux, des paysages. Tout dans la nature était pour lui sujet d’observation; en revanche, le notariat ne l’attirait guère. Mais en province, dans une famille de bonne bourgeoisie, la profes¬ sion d’artiste était alors considérée comme une calamité, presque un scandale. La mère de Charnay, très tendre et très pieuse, n’était pas sans quelque secrète appréhension quand elle plaidait auprès de son mari la cause de ce fils rebelle aux séductions de la carrière paternelle. Un certain jour, pendant une absence momentanée du maître-clerc, le jeune garçon avait dû prendre sa place dans une vente des environs pour inscrire dans leur suite les noms des ache¬ teurs et les prix de leurs acquisitions. Après s’être d’abord conscien¬ cieusement acquitté de sa tâche, il s’oubliait bien vite à griffonner sur les feuillets de cette liste les portraits des clients dont les types l’intéressaient Je plus. On peut juger du désordre qui en était résulté et de la semonce qu’une pareille incartade valut au délinquant. Il fallut bien se rendre à l’évidence et, après maint débat, sous la condition expresse qu’il serait auparavant reçu bachelier, Char¬ nay obtint enfin l’autorisation de suivre le penchant qui l’entraînait vers la peinture. Malgré toute sa facilité, ce ne fut pas sans peine qu’il conquit le bienheureux diplôme, car sa préparation aux exa¬ mens, d’abord à Dijon, puis à Lyon, avait été très intermittente et entremêlée de nombreuses fugues. Délivré de ce cauchemar, dès son arrivée à Paris, vers 18G5, il s’était mis vaillamment à la besogne. Mais avec son humeur indépendante, il ne parvenait pas à découvrir le maître de ses rêves. Comme l’air des classes, celui des ateliers lui était funeste, et il ne fit guère que traverser ceux de Feyen-Perrin et de Pils. Son éducation artistique lui vint un peu de ses camarades et beaucoup de la nature. Entre temps, il copiait au Luxembourg et au Louvre les œuvres de Poussin, de Claude et de Daubigny. Avec de telles dispositions, le travail solitaire valait mieux pour cet élève insoumis. Les études qu’il fit alors d’après nature témoignent de ses rapides progrès. Il avait trouvé dans le fusain un instrument précieux pour chercher et arrêter ses compositions et