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Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/561

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m GAZETTE DES BEAUX-ARTS des Morts et, dans l'herbe humide de rosée, une paysanne enveloppée de sa mante, tenant la main de sa petite fille qui se serre craintive¬ ment contre elle. C'est dans des dispositions pareilles qu'il reprenait, pour les transposer dans un mode mineur, les motifs joyeux qu'il avait si allègrement traités autrefois. Avec les journées sombres et courtes de la fin de l'automne, les châteaux avaient perdu leur ani¬ mation. Les vacances terminées, les enfants étaient rentrés dans leurs pensions, les hôtes partis, les vieilles futaies désertes. Dans le Parc de Sansac (1885) une jeune femme de tournure distinguée, bien prise dans son costume sombre, se promène un livre à la main, parmi les allées jonchées de feuilles mortes qui contournent les gazons flétris et les grandes pièces d'eau; c’est vers le déclin du jour, et dans l’air paisible un soleil débile essaie en vain de dissiper les nuées flottantes. Puis, c'était l'hiver et les longues réclusions au coin du feu; la Neige à Gâtellier 7 avec deux jolies dames, frileuses, emmitouflées, traversant la grande cour du château dont les mu¬ railles ternes et mornes se détachent tristement sur le gris uniforme d'un ciel plombé. Le chemin n'est point frayé, et des deux enfants qui accompagnent les châtelaines, l'une, guêtrée, enveloppée dans un plaid, se fait traîner un peu; l'autre? un jeune garçon, rejoint le groupe en courant, tandis qu'un chien familier s’ébat en de folles galopades, grisé par cette première neige. Comme me le disait Charnay : « C’est à Gâtellier, dans cette vieille demeure religieuse¬ ment conservée par une de ces familles où se transmet le culte du passé, que chaque automne je retournais planter mon chevalet sous les vieux arbres ... C’est Gâtellier qui m'a un peu fait ce que je suis; c’est là que j’ai parfois tenté de rendre en mes études l’âme des vieux logis tout remplis de souvenirs, où chaque génération a laissé, en ces murailles qui commencent à s’effriter, un peu de sa vie aux époques disparues. » Il y a plus d’intimité encore dans les études que Charnay faisait autour de la maison paternelle. Là, tout parlait à son cœur, tout lui rappelait quelque chose de sa propre existence : le banc de pierre moussu, la terrasse d'où la vue s’étend sur les prairies du Sor- nin, et les collines du Beaujolais, les arbres enguirlandés de lierre et, de chaque côté du large escalier qui conduit à l'habitation flanquée de tourelles, des touffes de chrysanthèmes étagées sur les talus, dernier sourire de l'automne. Mais là aussi, avec le temps, s’étaient abattus les deuils inévitables, et il semble que l’hiver, cette mort de l’année, ramène plus vivaces à l’esprit toutes les tristesses