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LA MINIATURE A L’EXPOSITION DES PRIMITIFS 55 tradition des maîtres. Il sera intéressant, un jour, de rechercher ce qu'il doit à ses prédécesseurs. Il nous apparaît tout formé 1 et il se trouve que le premier livre enluminé de sa main est justement son chef-d’œuvre. On ne le verra malheureusement pas à l’exposition des manuscrits2. Fouquet n'y est représenté que par son Josèphe, qui est une belle œuvre, mais une œuvre de vieillesse3. Faisons pourtant comme si nous avions sous les yeux les Heures r\t\t d’Etienne Chevalier, qui sont restées à Chantilly. Essayons, à l’aide de ce beau livre, de faire sentir le génie de Fouquet et d’en marquer les limites. Fouquet fut, certes, un bon chrétien et qui sentit aussi bien que personne les beautés de l’histoire évangélique, mais il ne faut pas lui demander la ferveur brûlante et la mysticité. Il suit pieuse¬ ment son Sauveur sur cette terre, mais c’est tout ce qu’il sait faire. Il ne nous ouvre pas les portes du ciel. Le Paradis, tel qu’il l’a représenté — la Trinité assise sur trois trônes et entourée de cercles d’anges — n’est qu’une copie de ces grands échafauds qu’on dressait sur les places, lors de l’entrée solennelle d’un roi. Ce n’est pas non plus un de ces poètes qui transfigurent la vie, lui donnent l’aspect d’un rêve magnifique. Parfois, il est vrai, ses miniatures ont pour fond les arcs de triomphe et les portiques qu’il avait admirés en Italie. Mais ce trop beau décor nous cause une sorte de malaise. Sous ses colonnes de marbre à chapiteaux d’or, il faudrait des groupes symétriques de déesses et de héros. Or, qu’y voyons-nous ? — des bourgeois de Tours qui ne sont pas de la race des demi-dieux, des jeunes filles qui n’ont pas d’autre charme que celui de la jeunesse et de la modestie et qui, demain, seront fanées. 11 faut à ces petites gens les vieilles rues de Chinon, ou quelques jardins de Tours d’où l’on découvre l’abside de la cathédrale. D’ail¬ leurs, comme Fouquet revient vite à ce décor familier, qu’il aime de tout son cœur ! Ce qu’il nous montre, ce sont les maisons de bois qui surplombent la rivière, le cloître du cimetière couvert d’ar¬ 1. M. Bouchot attribue à Fouquet quelques miniatures du manuscrit fran¬ çais 166 (catalogue, n° 88). Ce serait là une œuvre de jeunesse. Les miniatures sont charmantes, en effet, mais sont-elles de Fouquet? 2. Sauf un feuillet détaché des Heures d’Étienne Chevalier (catalogue, n° 131) et deux autres au pavillon de Marsan (catalogue, n° 50). 3. Catalogue, n° 128' (franc. 247). Ajoutons-y l’admirable miniature retrouvée récemment parM. Yates Thompson, qui orne le second volume de Josèphe (cata¬ logue, n° 129), Les miniatures du pavillon de Marsan sont-elles de la main de Fouquet?