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Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/82

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76 GAZETTE DES BEAUX-ARTS quelle superbe disposition, en oblique, des lointains architecturaux, quel éclat de couleur, quelle sûreté de rendu dans tous les détails, dans l’apparition céleste de Dieu le Père, les sculptures des voûtes et des colonnes, le prie-Dieu chargé de livres, le vase d'orfèvrerie où trempent des fleurs! On ne donne qu’aux riches! Quelques-uns de nos amis accordent encore à Froment la Légende de saint Mitre, cette scène de mar¬ tyre si dramatique qui s’accomplit aussi dans un décor merveilleux. Cette fois nous sommes en plein air, sur une place d’Àix, d’où les yeux enfilent deux rues bordées par des palais, des campaniles, des logis à terrasses, des tourelles, de l'effet le plus pittoresque. Beau¬ coup d’oisifs dehors, beaucoup de curieuses aux fenêtres. On vient de décapiter un bon saint, un captif grec, au service du préteur romain, qui s’est permis, le pauvre! de distribuer quelques grappes de raisin à de plus pauvres que lui, dans la vigne de son maître. Le féroce Arvandus L’a condamné, pour ce crime, à être décapité, ni plus ni moins. La sentence est exécutée. Le bourreau, un Pro¬ vençal halé, sec et maigre, bien découplé, robuste et nerveux, appuyé sur son épée sanglante, regarde à ses pieds sa victime. 0 miracle! Voici que ce corps, tronqué et sanglant, à genoux sur le sol, au lieu de s’abattre, tend la main droite, à tâtons, vers sa tête tombée ; puis, le voici, tout à coup, au milieu de la place, redressé, qui, d’un pas ferme, droit et fier, s’avance, nous présentant, des deux mains, son chef illuminé d’une auréole. Ces trois figures, le bourreau, le saint Mitre décapité, le saint Mitre ressuscité, sont de toute beauté, exé¬ cutés avec une force; une précision, une franchise dignes des plus grands maîtres contemporains. Il faut penser à Thierry Bouts ou Gérard David, chez les Flamands, à Mantegna, chez les Italiens. Encore ne trouverait-on peut-être chez aucun d’eux, malgré leurs autres supériorités, un tel naturel dans la vigueur du style, une telle simplicité dans la noblesse d’expression ! Ce milieu méridional fut, évidemment, celui où se conserva le mieux et le plus longtemps la tradition du beau métier. Avignon, Aix, Nice, n’étaient-ce pas les étapes forcées pour les peintres, à l’aller ou au retour d’Italie? Tous s’y arrêtaient et en rapportaient quelque chose. Ne pourrait-on surprendre des réminiscences avignon- naises jusque dans notre célèbre tableau du Palais de Justice l, si longtemps dérobé à la curiosité publique, soumis enfin à un examen 1. V. reprod. dans la Gazette des Beaux-Arts, 1901, t. II, p. 101.