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78 GAZETTE DES BEAUX-ARTS sensuels des prunelles très noires dans la cornée très blanche, tri¬ vialité malpropre des soudards poilus, soit dans les détails de l'exé¬ cution, jets et cassures des draperies (cf. Saint Mitre et Résurrection de Lazare), accentuations pesantes et noirâtres des coups de brosse négligents et lâchés dans les parties ombrées. Avec cela, des atti¬ tudes fermes et dramatiques, sinon beaucoup de sensibilité, dans les f Saintes Femmes, les deux saints Jean, le Baptiste et l’Evangélistc, le saint Denis (cf. encore le Saint Mitre). Le tableau fut peint à Paris; le beau panorama, à gauche, de la tour de Nesle et du château du Louvre, ne permet guère d’en douter; mais le roi saint Louis, dont la tête semble faite de chic d’après quelque portrait de Louis XI encore jeune, et surtout l’étonnant Charlemagne, avec sa toison débordante et ébouriffée et sa barbe plus broussailleuse que fleurie, sa mitre pointue, sa tunique et son manteau surchargés de clin¬ quant, ne se rattachent guère aux traditions parisiennes. Cet empe¬ reur cabotin doit avoir l’accent provençal; il sent un peu l’ail. Le tableau bien connu du musée du Louvre (provenant de Saint- Germain-des-Prés), avec la vue, aussi, du Louvre, celle de Saint- Germain-des-Prés et de Montmartre1, qu’on a juxtaposé, présente, au contraire, des caractères fort différents. C’est l’ouvrage d’un maître français, soit de Paris même, soit de la région centrale. L’attribution àPetrus Christus ou à l’école de van Eyck semble insoutenable. D’une part, le travail est postérieur, de l’extrême tin du xve siècle, car les attitudes, les ajustements, les colorations y révèlent la connaissance d’Àntonello, des Bellini, d’autres Vénitiens. D’autre part, l’admi¬ rable mise en scène, si naturellement, si clairement disposée et concentrée, des sept personnages, qui tous, suivant les exigences de nos habitudes intellectuelles, jouent un rôle effectif dans cet épisode pathétique de la Passion, et l’extraordinaire émotion, sans banalité comme sans emphase, qui s’exprime, avec noblesse ou ten¬ dresse, dans toutes leurs attitudes et leurs physionomies, contrastent singulièrement avec l’insensibilité des figures de Christus ou le charme, un peu monotone, des brillantes, mais froides images de Bruges. U y a donc, là encore, un nom de maître à trouver, un nom qui nous fera honneur. Cette Mise ait tombeau touche déjà à l’art du xvic siècle. Un souffle d’Italie, un souffle auroral et printanier, tout frais encore, y fait épanouir plus librement, sur son terroir, avec des par¬ fums nouveaux, la fleur française, sans altérer en rien sa grâce franche et vive. 1. V. reprod. dans la Gazette des Beaux-Arts, 4904, t. I, p. 379.