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Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/95

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88 GAZETTE DES BEAUX-ARTS de soir lugubre et de Phlégéthon, une barque glisse ou se dresse comme une ombre violâtre, et involontairement, devant ce décor que des toiles voisines donnent si brillant, si souple en irisations claires, tout vibrant d’étincelles lumineuses, de paillettes dorées et qui, en cette image, va se fondre dans les bleuités sombrées cou¬ leur de crépuscule, on songe aux vers de Baudelaire, au paysage de Recueillement vespéral des choses et des âmes dans la ville où il fait voir ... Le soleil moribond s’endormir sous une arche, et dégage, pour l’aimée, la plastique de ces bruissements lointains vers celte paix silencieuse, Et comme un long linceul traînant à l’Orient Entends, ma chère, entends, la douce Nuit qui marche. La série du pont de Charing-Cross est la plus courte. Le motif en est donné en une vision légère du fleuve1 où l’on dirait voir pas¬ ser légèrement, mobiles et brèves, des teintes fragiles d’aube ; l’eau est comme un miroir sur lequel des buées d’ombre se chasseraient et se succéderaient, fragiles et lentes harmonies, si l’on peut dire, à la Schumann ou à la Fauré ; des trains viennent, dont les fumées grises se violacênt à mesure qu’elles montent vers le ciel et s’épanouissent en écharpe lourde, puis poudroyante. Le brouillard, à d’autres facéties de la symphonie, estompe une partie du pont, le mange, mord sur le reflet vert qui, comme une barre rigide, tranche les eaux2. Ici les piliers du pont jettent une ombre diffuse et comme de larges feuilles mobiles et tremblantes sur l’eau verte, et le plus beau des huit tableaux qui disent celte splendeur du pont de Charing-Cross, c’est celui qui semble le plus irréel, où, le décor s’étant élargi jusqu’à la vision d’un autre pont lointain, celui-là désert dans un ciel qui semble en joie, l’eau partout scintille, au-dessous de la contorsion épaisse des fumées en moutonnements de toisons violettes, scintille en éclats de gloire, en saillies roses, orangées, dans une simultanéité d’éclairs qui parcourent toute la vision de brume féerique et semble courir vers la mer dans un rythme de cortège en fête et un bruissement innom¬ brable de perles lumineuses. GUSTAVE KA HN 1. N° 4 du catalogue. 2. N° 8 du catalogue. Li’Imprimeur-gérant : André Marty. PARIS. — IMPRIMERIE « DE LA GAZETTE DES BEAUX-ARTS », 8, RUE FÀVART.