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Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/120

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Mais pourquoi me troubler ? Ce n’est qu’une vieille femme à la veille de mourir… elle a eu son heure : la nôtre est à venir… Je ne veux penser qu’à notre heure prochaine !

Quand son fils est mort, elle est restée là, sans larmes, la bouche serrée, comme si on lui avait arraché le cœur. Pour vous avoir, il me faudra être inflexible comme la mort…

Oh ! j’ai peur. J’ai peur, là-bas, de ne pouvoir chasser de moi ces yeux sans larmes, ce masque muet de suppliciée… car je saurai que les tenailles qui ont servi étaient les miennes, que le sang de ce vieux cœur, c’est moi qui l’ai versé pour baptiser notre bonheur…

Oh ! j’ai peur de ne pouvoir chasser de moi cette vieille, mourant toute seule, entre ses deux fantômes…

Par grâce, ne me montrez pas ce visage inquiet qui lentement s’altère comme grandit le trouble de votre amie… Je suis près de vous, tout près de vous, mais il y a entre nous un cœur à piétiner… et je n’ose pas…

Laissez-vous tromper à mon sourire. Je veux mentir pour gagner le temps de penser, de me parler, de me retrouver. Ne m’étouffez pas sous la volupté trop cruelle de votre souffrance chérie…