Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/139

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de mes cavaliers, pour toute naturelle qu’elle me paraissait, occupait agréablement le dessus de mes pensées. Et tantôt, je regardais le grand Brême, et tantôt le savant Panviliers ; tantôt je pensais : j’épouserai celui-ci ; et tantôt : celui-là. J’étais ravie de ma beauté, et tout le temps que je pensais à autre chose, je savais la grâce fière de mon cou et de mes épaules minces, et la pose royale de ma tête pâle, trouée de lents yeux gris et bandée de cheveux noirs. Je m’aimais à travers l’admiration de mes cavaliers, et je ne les aimais que pour ce qu’ils m’aimaient. Et puis, Jean est arrivé, entrant reprendre Colette qui chaperonnait ce soir-là une jeune sœur et se chaperonnait moins elle-même, entourée, serrée par des groupes d’hommes, éclaboussée des rires que soulevait sa voix grêle zézayant des candeurs poivrées.

J’ai demandé tout de suite :

— Quel est ce Monsieur ?

Il me fut répondu : Jean Valentin ; un garçon de talent, assez connu au barreau, mais trop paresseux pour y réussir ; très épris de belles choses, assidu des salons de peinture, friand de premières, de vedettes, critique à ses heures et escrimeur remarqué. Du dilettantisme en pot-pourri.

Jean se tenait dans une embrasure de porte ; il regardait d’un air amusé, clignant les paupières