Aller au contenu

Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur tendresse renouvelée, après les affres du départ !


XV


Brême, le grand Brême qui m’a fait si patiemment la cour au temps de ma jeunesse, qui peut-être, pour moi, ne s’est jamais marié, vient parfois me voir une heure le soir. Il est resté mon ami sans aigreur, étant en cela très homme… Tout aussi femme, je garde pour lui une place attendrie, dévouée à son dévouement pour moi. Brême est tout en fer, du gris de ses cheveux à ses longues jambes en arêtes sous le pantalon impeccable. Moustache, cils, cheveux, tout est fondu du même métal, jusqu’à son regard, ses gestes, et son langage. Il s’en est fait une particularité, presqu’une grâce ; parfaitement maniaque et inoccupé, il a fouillé son type dans les loisirs des salons qu’il décore de sa longue taille inflexible.

Mais Brême sait souffrir, une dure douleur sans soupape de plaintes ni de larmes.

Ce soir il entre, taciturne, baise ma main d’une inclinaison raide, s’assied en angle aigu dans mon moelleux fauteuil, et débite sèchement quelques niaiseries. Puis, d’une voix changée, un peu hésitante, d’où le fer a disparu, il dit, étudiant d’un monocle luisant le dessin persan du tapis :