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Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/33

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cigarettes à peine consumées dont la cendre poudre le guéridon brillant. Point d’ouvrage ; deux livres jaunes, brochés. Watts s’approche, les titres surgissent : Le Baiser Mort… Zut ! la Vie… Il reste absorbé, à relire les majuscules noires. Le Baiser Mort… Zut ! la Vie… Il tâche un moment de se représenter le pur visage de Nine penché sur cette glose puante. Et, jeté d’un froissement de main après lecture, un billet recroquevillé montre un lambeau de phrase sabré d’une grosse écriture d’homme : Chère Madame, je vous ai attendue hier à la sortie de l’ambulance… La signature apparaît, négligente : Votre Fred…

Watts, agacé de sa curiosité machinale, se redresse : il regarde les façades blanches où se trouent en sombre les fenêtres ouvertes. Puis, malgré lui, il se retourne ; la phrase de nouveau surgit : Chère Madame, je vous ai attendue hier… Il détourne les yeux, brusquement, pour ne plus voir. Et voilà qu’une grande table chargée de portraits vient à eux, les frappe. Dans l’amas joyeux des instantanés, Nine surgit, remuante, grouillante, entourée d’hommes et de chiens, en jupon court, en culotte, en maillot, en chasse, en pêche, à l’eau, à terre, à cheval ; Nine, gracile, les cheveux en auréole, avec ses yeux de sainte et sa bouche mûre et riante. Tout auprès,