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Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/98

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elle, comme un cœur de fille dont on torture la mère ; elle se penche pour la caresser, baiser son sol outragé, avec des mots profonds et bas, des plaintes de douleur et de tendresse.

C’est l’heure divine et calme où la terre semble toute enveloppée de ciel. Le couchant demeure dans ses voiles d’ombre comme une palpitation d’amour. Elle regarde ce ciel, dont la splendeur d’infini l’inonde ; elle en entend le balbutiement profond, et le traduit par un cri de ferveur :

— Mon ciel belge !

L’immensité, pour elle, est réduite à ce radieux atome…

Et voilà que brusquement, dans une clameur de course, passe près d’elle, arrachant l’air et fouettant les feuilles, une grise auto de guerre au puissant moteur, hérissée au volant de deux silhouettes raides, évocation rapide de la fièvre du front proche.

Elle s’écarte, aveuglée de poussière, l’amer murmure d’une révolte aux dents ; mais la machine, moteur ronflant, s’est arrêtée au carrefour pâle des routes ; une voix épelle l’écriteau obscurci, tâtonnante, et soudain, forte et teutonne, l’interpelle dans le tonnerre du moteur faisant machine arrière. Les phares sont allumés, un carré éclatant se dessine autour d’elle et