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Page:Gistucci - Le Pessimisme de Maupassant, 1909.djvu/26

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du jour rayonne sur les misères de l’Aveugle.[1] — Et un délicieux tableau d’hiver dans la campagne normande précède l’évocation de l’horrible meurtre, commis en ces mêmes lieux par le berger Gargan, un sourd-muet, sur sa femme, une rouleuse.[2] La nature, la grande Mère est donc pour nous stupide et sourde.

Et les êtres, les êtres humains, pourquoi s’attacher à eux ? À quoi bon les étreindre ? Nos bras ne peuvent rien saisir. Les caresses sont illusoires. L’amour, le « pauvre amour », comme a dit le grand poète Sully-Prudhomme, tente en vain par là

L’impossible union des âmes et des corps.

« Personne, jamais, n’appartient à personne ». Tout n’est donc qu’illusion. Le bonheur est l’illusion suprême, l’illusion sans fin. « Il ne faut pas croire au bonheur ».

Maupassant a senti jusqu’au fond de l’âme, jusqu’à la souffrance la plus aiguë le néant des affections humaines, le vide des étreintes et

Cette déception de l’infini désir,


plus douloureuse peut-être à l’âme moderne que ne l’était la tristesse épicurienne à l’âme antique. Il y a des hommes, dit-il, qui, à trente ans, « parcourant d’un éclair de pensée, le cercle étroit des satisfactions possibles », demeurent « atterrés » devant « la monotonie et la pauvreté des joies terrestres ».

Lui-même est de ceux-là.

Relisez l’admirable page de son volume intitulé Sur l’Eau où il raconte comment, un soir, étant couché à bord de son yacht, dans une petite rade solitaire, il s’est abandonné à la

  1. Recueil Le Père Milon, contes inédits.
  2. Les Bécasses, Recueil Monsieur Parent.