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Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/206

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que tout le monde vit pour soi, et que la richesse de l’empire a été tarie par les guerres et les divisions des partis politiques.

Le maréchal énumère les provisions de bouche que la cour dévore chaque jour, et se plaint de la cherté des subsistances, qu’on gaspille à l’envi. Tous ces conseillers inquiets et maussades semblent être les mêmes dont nous avons entendu déjà les lamentations dans la nuit du sabbat[1] du premier Faust. Au reste, toute l’action désormais se passe dans un monde vague, où il devient difficile de distinguer les fantômes des personnages réels.

L’empereur, étourdi de toutes ces plaintes, se tourne vers son nouveau fou, et lui demande s’il n’a pas, à son tour, une plainte à faire. Méphistophélès s’étonne, au contraire, des jérémiades qu’il vient d’entendre. Il commence par flatter l’empereur, qui peut tout, et qui n’a qu’à souffler pour abattre ses ennemis. Avec un peu de courage et de bonne volonté, tous ces embarras disparaîtront, et l’astre de l’empire recouvrera tout son éclat.

Les courtisans murmurent à ces paroles :

— Cela est aisé à dire ! Mais que faut-il faire ? Les gens à projets trouvent tout facile…

— Qu’est-ce qui vous manque ? dit Méphistophélès. De l’argent ? Voyez la grande difficulté ! Le sol même de l’empire en est rempli. C’est de l’or brut dans les veines des monts ; c’est de l’or monnayé dans les trous des murailles, où l’ont caché les citoyens, effrayés depuis longues années des guerres et des révolutions. Il ne s’agit que de faire paraître ces richesses à la face du soleil, au moyen des forces données à l’homme par la nature et par l’esprit.

— La nature et l’esprit ! s’écrie le chancelier ; ce ne sont pas des mots à dire à des chrétiens ! C’est pour de telles paroles qu’on brûle les athées. La nature est le péché ; l’esprit est le diable en personne, et le doute est le produit de leur accouplement monstrueux !…

  1. Voyez page 151.