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Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/370

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songe s’évanouissent devant le triomphe de la vérité.

De même, quand le poëte prélude, chacun jette soudain le fardeau qu’il s’est imposé, l’homme s’élève au rang des esprits et se sent transporté jusqu’aux voûtes du ciel : alors il appartient tout à Dieu, rien de terrestre n’ose l’approcher, et toute autre puissance est contrainte à se taire. Le malheur n’a plus d’empire sur lui ; tant que dure la magique harmonie, son front cesse de porter les rides que la douleur y a creusées.

Et comme après de longs désirs inaccomplis, après une séparation longtemps mouillée de larmes, un fils se jette enfin dans le sein de sa mère, en le baignant des pleurs du repentir ; ainsi l’harmonie ramène toujours au toit de ses premiers jours, au bonheur pur de l’innocence, le fugitif qu’avaient égaré des illusions étrangères, elle le rend à la nature, qui lui tend les bras pour réchauffer son génie glacé par la contrainte des règles.




PÉGASE MIS AU JOUG


Dans un marché de chevaux (à Hay-Market, je crois), certain poëte affamé mit en vente Pégase, parmi beaucoup d’autres chevaux à vendre.

Le cheval ailé hennissait et se cabrait avec des mouvements majestueux. Tout le monde l’admirant, s’écriait : « Le noble animal ! quel dommage qu’une inutile paire d’ailes dépare sa taille élancée !… Il serait l’ornement du plus bel attelage. La race en est rare, car personne n’est tenté de voyager dans les airs. » Et chacun craignait d’exposer son argent à un pareil achat ; un fermier en eut envie : « Il est vrai, dit-il, que ses ailes ne peuvent servir à rien, mais en les attachant ou en les coupant, ce cheval sera toujours bon pour le tirage. J’y risquerais bien vingt livres. » Le poëte ravi lui frappe dans la main.