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Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/382

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« À peine suis-je en plaine, que mes chiens poussent des hurlements, et mon cheval commence à se cabrer d’effroi… C’est qu’ils ont vu tout près la forme gigantesque de l’ennemi, qui, ramassé en tas, se réchauffait à l’ardeur du soleil. Les dogues rapides fondent sur lui ; mais ils prennent bientôt la fuite, en le voyant ouvrir sa gueule haletante d’une vapeur empoisonnée, et pousser le cri du chacal.

« Cependant, je parviens à ranimer leur courage ; ils retournent au monstre avec une ardeur nouvelle, tandis que, d’une main hardie, je lui lance un trait dans le flanc. Mais, repoussée par les écailles, l’arme tombe à terre sans force, et j’allais redoubler, lorsque mon coursier, qu’épouvantait le regard de feu du reptile et son haleine empestée, se cabra de nouveau, et c’en était fait de moi…

« Si je ne me fusse jeté vite à bas de cheval. Mon épée est hors du fourreau ; mais tous mes coups sont impuissants contre le corselet d’acier du reptile. Un coup de queue m’a déjà jeté à terre, sa gueule s’ouvre pour me dévorer… quand mes chiens, s’élançant sur lui avec rage, le forcent à lâcher prise, et lui font pousser d’horribles hurlements, déchiré qu’il est par leurs morsures.

« Et, avant qu’il se soit débarrassé de leur attaque, je lui plonge dans la gorge mon glaive jusqu’à la poignée. Un fleuve de sang impur jaillit de sa plaie ; il tombe et m’entraîne avec lui, enveloppé dans les nœuds de son corps. — C’est alors que je perdis connaissance, et, lorsque je revins à la vie, mes écuyers m’entouraient, et le dragon gisait étendu dans son sang. »

À peine le chevalier eut-il achevé, que des cris d’admiration longtemps comprimés s’élancèrent de toutes les bouches, et que des applaudissements cent fois répétés éclatèrent longtemps sous les voûtes sonores : les guerriers de l’ordre demandèrent même à haute voix que l’on décernât une couronne au héros ; le peuple, reconnaissant, voulait le porter en triomphe… Mais le grand maître, sans dérider son front, commanda le silence.

« Tu as, dit-il, frappé d’une main courageuse le dragon