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Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/427

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dans les nues : je retombai tout étourdi et à demi brûlé, et je me relevai parmi le sang, la cervelle et les membres mutilés de mes compagnons d’armes.

« La masse d’acier d’un géant se brisa sur moi, le poing du bourreau se paralysa en voulant me saisir, le tigre émoussa ses dents sur ma chair ; jamais lion affamé ne put me déchirer dans le cirque. Je me couchai sur des serpents venimeux, je tirai le dragon par sa crinière sanglante… le serpent me piqua, et je ne mourus pas ! le dragon s’enlaça autour de moi, et je ne mourus pas !

« J’ai bravé les tyrans sur leurs trônes ; j’ai dit à Néron : « Tu es un chien ivre de sang ! » à Christiern : « Tu es un chien ivre de sang ! » à Mulei-Ismaël : « Tu es un chien ivre de sang ! » Les tyrans ont inventé les plus horribles supplices, tout fut impuissant contre moi.

« Hélas ! ne pouvoir mourir ! ne pouvoir mourir !… ne pouvoir reposer ce corps épuisé de fatigues ! traîner sans fin cet amas de poussière, avec sa couleur de cadavre et son odeur de pourriture ! contempler des milliers d’années l’uniformité, ce monstre à la gueule béante, le Temps fécond et affamé, qui produit sans cesse et sans cesse dévore ses créatures !

« Hélas ! ne pouvoir mourir ! ne pouvoir mourir !… Ô colère de Dieu ! pouvais-tu prononcer un plus effroyable anathème ? Eh bien, tombe enfin sur moi comme la foudre, précipite-moi des rochers du Carmel, que je roule à ses pieds, que je m’agite convulsivement, et que je meure ! » Et Ahasver tomba. Les oreilles lui tintèrent, et la nuit descendit sur ses yeux aux cils hérissés. Un ange le reporta dans la caverne. Dors maintenant, Ahasver, dors d’un paisible sommeil ; la colère de Dieu n’est pas éternelle ! À ton réveil, il sera là, celui dont à Golgotha tu vis couler le sang, et dont la miséricorde s’étend sur toi comme sur tous les hommes.