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L’OMBRE DE KŒRNER

Par Uhland (1816).


Si tout à coup une ombre se levait, une ombre de poëte et de guerrier, l’ombre de celui qui succomba vainqueur dans la guerre de l’indépendance[1], alors retentirait en Allemagne un nouveau chant, franc et acéré comme l’épée… non pas tel que je le dis ici, mais fort comme le ciel et menaçant comme la foudre.

On parlait autrefois d’une fête délirante et d’un incendie vengeur… ici, c’est une fête : et nous, ombres vengeresses des héros, nous y descendrons, nous y étalerons nos plaies encore saignantes, afin que vous y mettiez le doigt !

Princes ! comparaissez les premiers. Avez-vous oublié déjà ce jour de bataille où vous vous traîniez à genoux devant un homme, pour lui faire hommage de vos trônes ?… Si les peuples ont lavé votre honte avec leur sang, pourquoi les bercer toujours d’un vain espoir, pourquoi dans le calme renier les serments de la terreur ? Et vous, peuples froissés tant de fois par la guerre, ces jours brûlants vous semblent-ils déjà assez vieux pour être oubliés ? Comment la conquête du bien le plus précieux ne vous a-t-elle produit nul avantage ? Vous avez repoussé l’étranger, et pourtant tout est resté chez vous désordre et pillage, et jamais vous n’y ramènerez la liberté, si vous n’y respectez la justice.

Sages politiques, qui prétendez tout savoir, faut-il vous répéter combien les innocents et les simples ont dépensé de sang pour des droits légitimes ? De l’incendie qui les dévore surgira-t-il un phénix dont vous aurez aidé la renaissance ?

Ministres et maréchaux, vous dont une étoile terne décore la poitrine glacée, ce retentissement de la bataille

  1. Kœrner fut tué, en 1813, dans une bataille contre les Français.