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Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/444

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POÉSIES ALLEMANDES

cœur traduits et commentés par sa voix, ce qui est en vous depuis que vous êtes, et que vous ne comprenez pas, l’intelligence de l’être, la vie dans sa plus riche expression… — Je l’ai dit, frère, et je le dis encore, celle que j’ai tant aimée n’était pas taillée sur le patron des autres, elle n’avait ni fausseté ni corset.

On ne saurait dire combien le prieuré devint triste quand Maria n’y fut plus ; c’était comme si l’on eût éteint la paillette de lumière d’un tableau de Rembrandt. Tout prit une teinte lugubre. Les murailles, noyées de larges ombres, semblaient des tentures funèbres ; les frêles capucines et les volubilis qui encadraient la fenêtre, des herbes sur un tombeau[1]. Adieu, l’eau pure épanchée par une main blanche, les fils de fer pour se rouler autour, et le vert treillis losangé où pendre ses clochettes purpurines, votre maîtresse est partie avec les beaux jours et le soleil ! Et toi, petit moineau qu’elle aimait, tu n’auras plus ni chènevis, ni grains d’orge, ni baisers d’une bouche rose, ni sommeil sur un sein de neige dont les battements te berçaient ! Va chercher ailleurs un abri contre la pluie et la grêle. Cesse de becqueter ces vitres et de les frapper de ton aile : Maria ne t’entend pas ; elle est loin, bien loin d’ici ! ils l’ont emmenée là-bas, et tu ne la verras plus !… Elle a emporté l’âme de la maison ! Le prieuré d’aujourd’hui est l’ancien, comme le cadavre est le corps ; la bouteille vide, la bouteille pleine de vieux vin du Rhin ; on a laissé le flacon ouvert, le parfum et la poésie se sont évaporés ! Ce n’est plus qu’une maison comme une autre, des murs de quatre côtés, plafond dessus, plancher dessous, l’espace au milieu… voilà ! C’est en vain qu’on chercherait quelque trace de son passage : le vol du colibri laisse-t-il un sillon dans l’air ? le lac conserve-t-il le reflet du nuage, la feuille la goutte de rosée et le chant du rossignol qui a soupiré sous son ombre ?… Non, c’est le destin ! Qu’y faire ?… Se résigner ; cacher au fond de soi, comme au fond d’un sanctuaire, sa douleur incommensu-

  1. Pauvres fleurs séchées et jaunies au vent de novembre.