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Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/73

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en cercle, les chapeaux volent en l’air, et peu s’en faut qu’ils ne se mettent à genoux, comme si le bon Dieu se présentait.

FAUST.

Quelques pas encore, jusqu’à cette pierre, et nous pourrons nous reposer de notre promenade. Que de fois je m’y assis pensif, seul, exténué de prières et de jeûnes. Riche d’espérance, ferme dans ma foi, je croyais, par des larmes, des soupirs, des contorsions, obtenir du maître des cieux la fin de cette peste cruelle. Maintenant, les suffrages de la foule retentissent à mon oreille comme une raillerie. Oh ! si tu pouvais lire dans mon cœur, combien peu le père et le fils méritent tant de renommée ! Mon père était un obscur honnête homme qui, de bien bonne foi, raisonnait à sa manière sur la nature et ses divins secrets. Il avait coutume de s’enfermer avec une société d’adeptes dans un sombre laboratoire où, d’après des recettes infinies, il opérait la transfusion des contraires. C’était un lion rouge, hardi compagnon qu’il unissait dans un bain tiède à un lis ; puis, les plaçant au milieu des flammes, il les transvasait d’un creuset dans un autre. Alors apparaissait, dans un verre, la jeune reine[1] aux couleurs variées ; c’était là la médecine, les malades mouraient, et personne ne demandait : « Qui a guéri ? » C’est ainsi qu’avec des électuaires infernaux nous avons fait, dans ces montagnes et ces vallées, plus de ravage que l’épidémie. J’ai moi-même offert le poison à des miliers d’hommes ; ils sont morts, et, moi, je survis, hardi meurtrier, pour qu’on m’adresse des éloges !

VAGNER.

Comment pouvez-vous vous troubler de cela ? Un brave homme ne fait-il pas assez quand il exerce avec sagesse et ponctualité l’art qui lui fut transmis ? Si tu honores ton père, jeune homme, tu recevras volontiers ses instructions ;

  1. Noms de diverses compositions alchimiques.