Page:Hugo Œuvres complètes tome 5.djvu/232

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à l’occasion de l’interdiction qui fut faite par l’autorité au théâtre des Nouveautés de jouer la pièce, intitulée : Procès d’un Maréchal de France. Les auteurs, MM. Fontan et Dupeuty, perdirent leur cause ; mais l’espèce était bien différente. Votre jugement constate que le directeur du théâtre des Nouveautés avait fait tout ce qui était en lui pour continuer de jouer la pièce ; il n’avait cédé qu’à la force majeure, et même à l’emploi de la force armée ; son théâtre avait été cerné par des gendarmes et fermé pendant plusieurs jours. Il ne se rencontre rien de semblable dans le procès actuel. Le lendemain de la première représentation, on écrit vaguement à M. Victor Hugo qu’il existe un ordre qui défend sa pièce. Cet ordre n’est pas produit, nous ne le connaissons pas ; nous devrions d’abord savoir si en effet il existe, et ensuite quelle en est la nature.

Me LÉON DUVAL, avocat de la Comédie-Française, interrompt Me Odilon-Barrot : Les relations de M. Victor Hugo avec le Théâtre-Français ne sont pas, dit-il, tellement rares, qu’il ne puisse point connaître l’ordre intimé par le ministre. Au surplus, voici cet ordre :

« Le ministre secrétaire-d’État au département du commerce et des travaux publics, vu l’article 14 du décret du 9 juin 1806, considérant que, dans des passages nombreux du drame représenté au Théâtre-Français le 22 novembre 1832, et intitulé le Roi s’amuse les mœurs sont outragées (violents murmures et rires ironiques au fond de la salle), nous avons arrêté et arrêtons :

» Les représentations du drame intitulé le Roi s’amuse sont désormais interdites.

» Fait à Paris, le 10 décembre 1852.

Signé : comte d’Argout. »

Les clameurs redoublent au fond de la salle, on entend même quelques sifflets.

Me ODILON-BARROT : Je suis bien aise d’avoir provoqué cette explication ; nous avons au moins désormais une base certaine sur laquelle la discussion peut porter.

Messieurs, je crois qu’il y a ici une étrange confusion, et que M. d’Argout s’est complètement trompé sur la nature de ses pouvoirs. Trois espèces d’influence ou d’autorité peuvent s’exercer sur les théâtres.

Ici le tumulte devient tel dans le vestibule qui précède la salle d’audience, qu’il est impossible de saisir les paroles de l’avocat.

Me CHAIX-D’EST-ANGE : Je prie le tribunal de prendre des mesures pour faire cesser ce bruit qui m’empêche de suivre les raisonnements de mon adversaire, et doit lui nuire à lui-même.

M. LE PRÉSIDENT : Si le calme ne se rétablit pas, on sera obligé de faire évacuer une partie de l’auditoire.

Me ODILON-BARROT (se tournant vers la foule) : Il est difficile de continuer une discussion qui a nécessairement de la sécheresse et de l’aridité, au milieu de cette agitation continuelle. Je prie le public de vouloir bien écouter, au moins avec résignation, les déductions légales que j’ai à faire dériver de la législation existante.

M. LE PRÉSIDENT : Que l’on ferme les portes.

Voix de l’intérieur : Nous étoufferons.

Autres voix : Il vaudrait mieux ouvrir les fenêtres ; on étouffe.