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Page:Hugo Œuvres complètes tome 5.djvu/31

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» Ces ménagements que je me suis engagé à garder, je les garderai, messieurs. Les hautes personnes intéressées à ce que cette discussion reste digne et décente n’ont rien à craindre de moi. Je suis sans colère et sans haine. Seulement, que la police ait donné à l’un de mes vers un sens qu’il n’a pas, qu’il n’a jamais eu dans ma pensée, je déclare que cela est insolent, et que cela n’est pas moins insolent pour le roi que pour le poète. Que la police sache une fois pour toutes que je ne fais pas de pièces à allusions. Qu’elle se tienne encore ceci pour dit. C’est aussi là une chose sur laquelle je ne reviendrai plus.

» Après la raison morale et la raison politique, il y a la raison littéraire. Un gouvernement arrêtant une pièce pour des raisons littéraires, ceci est étrange, et ceci n’est pourtant pas sans réalité. Souvenez-vous, si toutefois cela vaut la peine qu’on s’en souvienne, qu’en 1829, à l’époque où les premiers ouvrages dits romantiques apparaissaient sur le théâtre, vers le moment où la Comédie-Française recevait Marion de Lorme, une pétition, signée par sept personnes, fut présentée au roi Charles X pour obtenir que le Théâtre-Français fût fermé tout bonnement, et de par le roi, aux ouvrages de ce qu’on appelait la nouvelle école. Charles X se prit à rire, et répondit spirituellement, qu’en matière littéraire, il n’avait, comme nous tous, que sa place au parterre. La pétition expira sous le ridicule. Eh bien ! messieurs, aujourd’hui plusieurs des signataires de cette pétition sont députés, députés influents de la majorité, ayant part au pouvoir et votant le budget. Ce qu’ils pétitionnaient timidement en 1829, ils ont pu, tout-puissants qu’ils sont, le faire en 1832. La notoriété publique raconte en effet que ce sont eux qui, le lendemain de la première représentation, ont abordé le ministre à la chambre des députés, et ont obtenu de lui, sous tous les prétextes moraux et politiques possibles, que le Roi s’amuse fût arrêté. Le ministre, homme ingénu, innocent et candide, a bravement pris le change ; il n’a pas su démêler sous toutes ces enveloppes l’animosité directe et personnelle ; il a cru faire de la proscription po-