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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/27

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[Commencement d’avril 1820.]

C’est le 26 avril 1819 que je t’avouai que je t’aimais... Il n’y a pas un an encore. Tu étais heureuse, gaie, libre ; tu ne pensais peut-être pas à moi ; que de peines, que de tourments depuis un an ! Que de choses tu as à me pardonner. Ce qui me semble incompréhensible, c’est que tu doutes de mon estime, mais toi-même, que dois-tu penser de moi, chère Adèle ? Je voudrais savoir tout ce que l’on te dit sur mon compte[1] Aie un peu de confiance en ton mari, je suis bien malheureux.

Tu vois, mon amie, que je puis à peine lier deux idées, ta lettre me tourmente bien cruellement. J’ai pourtant tant de choses à te marquer et si peu de temps pour t’écrire. Comment tout cela finira-t-il ? Je le sais à peu près pour moi, mais pour toi ?

Maintenant toutes mes espérances, tous mes désirs se concentrent sur toi seule…

Je veux cependant absolument répondre à ta lettre. Comment oses-tu dire que je pourrai jamais t’oublier ? Me mépriserais-tu par hasard ? Dis-moi encore quelles sont les mauvaises langues ? Je suis furieux : tu ne sais pas assez combien tu vaux mieux, sous tous les rapports, que tout ce qui t’entoure ; sans excepter ces prétendues amies, qui feraient croire aux anges mêmes qu’ils sont des diables.

Adieu, mon Adèle, tu vois que je ne suis pas en état de te répondre. Excuse mon griffonnage. À demain le reste, si je puis. Porte-toi bien.

  1. « ... Si tu savais à quel point on cherche à te faire passer dans mon esprit pour ce que tu n’es pas, ton étonnement cesserait, je te l’assure... Toutes les commères du quartier, celles qui se disent mes amies, se moquent de moi, ne font que tenir des propos qui, s’ils ne me perdent pas, me nuisent certainement beaucoup. D’un autre côté, je ne suis pas sans me reprocher ma conduite envers maman ; je l’aime, je ferais tout pour elle. Cette bonne mère croit faire mon bonheur quand elle ne fait que mon malheur, et tout cela par mon peu de confiance en elle... Maman me disait un jour : — Adèle, si tu ne cesses pas, si les propos que l’on tient sur ton compte continuent toujours, je me verrai forcée de parler à M. Victor, ou plutôt à sa mère, et tu seras cause, ma fille, que je me brouillerai avec une personne que j’aime et que j’estime beaucoup et à laquelle je suis très attachée. — Oh ! cher Victor, que je suis coupable ! Après une pareille conduite, je ne m’étonne plus si tu me méprises, » [Avril 1820.]