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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/134

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l’horizon avec les nuages dont elles ont la forme. La mer était parfaitement gaie et calme, et l’écume des vagues, blanche et pailletée au soleil, faisait tout le long du rivage comme une frange de vermicelles et de chicorées cent fois plus délicatement sculptées que tous les plafonds maniérés du dix-huitième siècle. Quand la mer veut faire du rococo, elle y excelle. Les architectes Pompadour lui ont pillé ses coquillages.

De temps en temps une mouette blanche passait, ou bien un grand cormoran qui nageait puissamment dans l’air avec ses ailes grises à pointes noires. Et puis au loin il y avait des voiles, de toute forme, de toute grandeur, de toute complication, les unes éclatantes de blancheur sur les obscurs bancs de nuées de l’horizon, les autres sombres sur les clairs du ciel. Quelques-unes sont venues complaisamment passer tout près de moi, côtoyant la dune avec une douce brise qui les enflait mollement et m’apportait les voix des matelots. C’était, dans la solitude où j’étais, de ravissantes apparitions que ces belles voiles si bien coupées, si bien étagées, si bien modelées par le vent, si bien peintes par le soleil, et j’admirais qu’on pût faire quelque chose d’aussi charmant, d’aussi fin, d’aussi gracieux, d’aussi délicat, avec de la toile à torchon.

Quelquefois je me tournais vers la terre, qui était belle aussi. Les grandes prairies, les clochers, les arbres, la mosaïque des champs labourés, la coupure droite et argentée d’un canal où glissaient lentement d’autres voiles, le bêlement des vaches qu’on voyait au loin, sur le pré, comme des pucerons sur une feuille, le bruit des charrettes sur la route qu’on ne voyait pas, tout m’arrivait à la fois, aux yeux, aux oreilles et à l’esprit. Et puis, je me retournais, et j’avais l’océan. C’est une belle chose qu’un pareil paysage doublé par la mer.

Par moments je rencontrais un pauvre toit de chaume dont la cheminée, ébréchée par les grands vents, fumait entre les dunes, et puis un groupe d’enfants qui jouaient. Car c’est un des côtés charmants du voyage dans cette saison. À la porte de chaque chaumière il y a un enfant. Un enfant debout, couché, accroupi, endimanché, tout nu, lavé ou barbouillé, pétrissant la terre, pataugeant dans la mare, quelquefois riant, quelquefois pleurant, toujours exquis. Je songe parfois avec tristesse que toutes ces délicieuses petites créatures feront un jour d’assez laids paysans. Cela tient à ce que c’est Dieu qui les commence et l’homme qui les achève.

L’autre jour, c’était charmant. Figure-toi cela, chère amie. Il y avait, sur le seuil d’une masure, un petit qui tenait ses deux sabots dans ses deux mains et me regardait passer avec de beaux grands yeux étonnés. Tout à côté il y en avait un autre, une petite fille grande comme Dédé, qui portait dans ses bras un gros garçon de dix-huit mois, lequel serrait