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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/343

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La Vendée fit la guerre de bruyères ; le Guipuzcoa rit la guerre de montagnes ; l’Afrique fait la guerre du désert.

Cette guerre a laissé ici sa trace partout. Au milieu de la plus belle nature et de la plus belle culture, parmi des champs de tomates qui vous montent jusqu’aux hanches, parmi des champs de maïs où la charrue passe deux fois par saison, vous voyez tout à coup une maison sans vitres, sans porte, sans toit, sans habitants. Qu’est cela ? Vous regardez. La trace de l’incendie est sur les pierres du mur. Qui a brûlé cette maison ? ce sont les carlistes. Le chemin tourne. En voici une autre. Qui a brûlé celle-ci ? les cristinos. Entre Ernani et Saint-Sébastien, j’avais entrepris de compter les ruines que je voyais de la route. En cinq minutes, j’en ai compté dix-sept. J’y ai renoncé.

En revanche, la petite révolution anti-espartériste, qu’on appelle el pronunciamiento, s’est faite à Saint-Sébastien le plus paisiblement du monde. Saint-Sébastien ne bougeait pas, laissant les autres villes de la province « se prononcer » à leur fantaisie. Sur ce, arrive une menace des gens de Pampelune, qu’il faut un pronunciamiento à Saint-Sébastien, ou qu’autrement ils y descendront. Saint-Sébastien n’a pas peur, mais cette pauvre ville est fatiguée. La guerre civile d’Espartero après la guerre civile de don Carlos, c’était trop. Les principaux de la ville se sont réunis à l’ayuntamiento ; on a convoqué les deux officiers de chaque compagnie de la milice urbaine ; on a dressé dans une salle une table avec un tapis vert ; sur cette table on a rédigé une chose quelconque, on a lu cette chose par une fenêtre aux passants qui étaient dans la place ; quelques enfants qui jouaient aux marelles se sont interrompus un instant et ont crié : Vivat. Le soir même on a signifié cet événement à la garnison qui était dans le castillo. La garnison a adhéré à la chose écrite sur la table de la mairie et lue à la fenêtre de la place. Le lendemain le général a pris la poste, le surlendemain le chef politique a pris la diligence ; deux jours après le colonel s’en est allé. La révolution était faite.

Voilà du moins l’histoire telle qu’on me l’a contée.

Je faisais route, en traversant ce beau pays dévasté, avec un ancien capitaine carliste, juché comme moi sur l’impériale de las diligencias peninsulares de Bayonne. C’était un homme de bonnes manières, distingué, silencieux, pensif. Je lui demandai à brûle-pourpoint en espagnol : Que pensa usted de don Carlos ? (Que pensez-vous de don Carlos ?) Il me répondit coup pour coup en français : C’est un imbécile. Prenez imbécile dans le sens d’imbecillis, débile. Vous aurez un jugement vrai qui ne tombera pas sur l’homme, mais sur le moment donné où l’homme a vécu.

Cette guerre de 1835 à 1839 a été sauvage et violente. Les paysans ont