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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/368

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magne masca[1] Dans Shakespeare, Hamlet en parle à Horatio. Gassendi s’en préoccupait, et Lagrange y rêvait après avoir traduit Lucrèce et médité Gassendi.

Je pense avec vous tout haut, mon ami. Une idée me mène à l’autre. Je me laisse aller. Vous êtes bon et sympathique et indulgent. Vous êtes accoutumé à mon allure et vous me laissez penser la bride sur le cou. Me voici pourtant assez loin du grès, en apparence du moins. J’y reviens.

Les aspects que présente le grès, les copies singulières qu’il fait de mille choses ont cela de particulier que la clarté du jour ne les dissipe pas et ne les fait pas évanouir. Ici, à Pasages, la montagne, sculptée et travaillée par les pluies, la mer et le vent, est peuplée par le grès d’une foule d’habitants de pierre, muets, immobiles, éternels, presque effravants. C’est un ermite encapuchonné, assis à l’entrée de la baie, au sommet d’un roc inaccessible, les bras étendus, qui, selon que le ciel est bleu ou orageux, semble bénir la mer ou avertir les matelots. Ce sont des nains à becs d’oiseau, des monstres à forme humaine et à deux têtes dont l’une rit et l’autre pleure, tout près du ciel, sur un plateau désert, dans la nuée, là où rien ne fait rire et où rien ne fait pleurer. Ce sont des membres de géant, disjecti membra gigantis ; ici le genou, là le torse et l’omoplate, la tête plus loin. C’est une idole ventrue, à mufle de bœuf avec des colliers au cou et deux paires de gros bras courts, derrière laquelle de grandes broussailles s’agitent comme des chasse-mouches. C’est un crapaud gigantesque accroupi au sommet d’une haute colline, marbré par les lichens de taches jaunes et livides, qui ouvre une bouche horrible et semble souffler la tempête sur l’océan.

  1. Stryga vel masca.