Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/391

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épouvantées, ces animaux abandonnés et misérables qui sont ses enfants comme nous, et qui vivent plus près d’elle que nous.

Ô mon ami, si la nature en effet nous regarde à de certaines heures, si elle voit les actions brutales que nous commettons sans nécessité et comme par plaisir, si elle souffre des choses méchantes que les hommes font, que son attitude est sombre et que son silence est terrible !

Nul n’a sondé ces questions. La philosophie humaine s’est peu occupée de l’homme en dehors de l’homme, et n’a examiné que superficiellement et presque avec un sourire de dédain les rapports de l’homme avec la chose et avec la bête qui à ses yeux n’est qu’une chose. Mais n’y a-t-il pas là des abîmes pour le penseur ?

Doit-on se croire insensé parce qu’on a dans le cœur le sentiment de la pitié universelle ? N’existe-t-il pas de certaines lois d’équité mystérieuse qui se dégagent de l’ensemble des choses, et que blessent les voies de fait inintelligentes et inutiles de l’homme sur les animaux ? Sans doute la souveraineté de l’homme sur les choses ne peut être niée ; mais la souveraineté de Dieu passe avant celle de l’homme. Or, pensez-vous, par exemple, que l’homme ait pu, sans violer quelque intention secrète et paternelle du créateur, faire du bœuf, de l’âne et du cheval les forçats de la création ? Qu’il les fasse servir, c’est bien ; mais qu’il ne les fasse pas souffrir ! Qu’il les fasse mourir même, s’il le faut, c’est son besoin et c’est son droit, mais qu’il ne les fasse pas souffrir. Du moins, et j’insiste sur ceci, qu’il ne leur fasse souffrir rien d’inutile.

Quant à moi, je pense que la pitié est une loi comme la justice, que la bonté est un devoir comme la probité. Ce qui est faible a droit à la bonté et à la pitié de ce qui est fort. L’animal est faible, puisqu’il est inintelligent. Soyons donc pour lui bons et pitoyables.

Il y a dans les rapports de l’homme avec les bêtes, avec les fleurs, avec les objets de la création, toute une grande morale à peine entrevue encore, mais qui finira par se faire jour et qui sera le corollaire et le complément de la morale humaine. J’admets les exceptions et les restrictions, qui sont innombrables, mais il est certain pour moi que, le jour où Jésus a dit : « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît », dans sa pensée autrui était immense ; autrui dépassait l’homme et embrassait l’univers.

L’objet principal pour lequel a été créé l’homme, son grand but, sa grande fonction, c’est d’aimer. Comprendre ne vient qu’après. Dieu veut que l’homme aime. L’homme qui n’aime pas est au-dessous de l’homme qui ne pense pas. En d’autres termes, l’égoïste est inférieur à l’imbécile, le méchant est plus bas dans l’échelle humaine que l’idiot.

Chaque chose dans la nature donne à l’homme le fruit qu’elle porte, le