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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/498

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Saint-Denis, des moulins comme Chaudfontaine, des tanneries comme Louviers, des maisons au bord de l’eau comme Saint-Goar. Ce qui est dispersé ailleurs est réuni à Nemours. Seulement c’est un groupe de choses modestes et paisibles, vieillies et riantes, dont aucune ne vous émerveille, dont aucune ne vous ennuie. Rien n’y est sublime, tout y est charmant. À l’âge de l’ambition, des soucis et des affaires, Nemours n’a rien à vous dire. Cela est trop doux, trop serein, trop retiré, trop solitaire. Il faut être à Nemours jeune et amoureux, et courir avec la joie des anges dans le cœur sur ces beaux gazons pleins de papillons et de fleurs, ou vieux et pensif, et se chauffer au soleil sur le seuil de ces humbles maisons que baigne une eau endormie. Nemours a tout à la fois le rayonnement des premières années et la paix des derniers jours. C’est un de ces lieux comme on en rêve pour commencer la vie ou pour la finir.

Autrefois la forêt de Fontainebleau venait jusqu’à Nemours. Nemus, Nemoris vicus, dit l’étymologie. Aujourd’hui Nemours est hors des bois. Pourtant un ravissant paysage continue d’envelopper la ville. Les hommes ont abattu les arbres, mais ils n’ont pu tuer la verdure.

L’église, commencée au treizième siècle et terminée au seizième, est d’une masse admirable. C’est une flèche sur porche à jour appuyée à un immense pignon, derrière lequel se prolonge et se développe une grande nef avec transept ébauché, entourée d’une foule de chapelles très basses qui forment au dehors autant de petits châtelets à tourelles et à toits pointus. De robustes arcs-boutants à larges écartements rattachent puissamment ces châtelets à la nef. Tout cet ensemble est d’une forme hardie, simple, sévère et superbe. La couleur n’est pas moins belle que la forme. Les siècles ont répandu leur harmonie sur la pierre des murailles et sur l’ardoise de la flèche. Un vaste cadran à plaque métallique rehausse le grès noir du clocher. L’église, malheureusement grattée et badigeonnée à l’intérieur, a quelques vitraux précieux. Les lancettes de l’abside sont de belles verrières du quinzième siècle.

Le château que j’ai revu depuis que j’ai commencé d’écrire ces lignes est un peu moins champêtre que je ne croyais. Il appartient à la ville qui le loue à divers fermiers et en tire parti comme elle peut. On a fait des caves une prison, du rez-de-chaussée une salle de danse, et du premier étage un théâtre ; ce qui n’empêche pas les poules et les pigeons. Les pauvres prisonniers gémissent en bas, la pochette fredonne à l’entresol, le vaudeville roucoule à côté du colombier. Une sécherie de laines occupe les combles. N’y a-t-il pas quelque chose de profondément triste dans cette niaise manie d’utilité qui possède les conseils municipaux et qui fait ainsi d’un antique manoir historique je ne sais quel édifice arlequin ?