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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/561

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20 août. — Hier j’ai été revoir Brandebourg. Route charmante, ruine superbe, entre deux ravins, l’un doux et vert, l’autre terrible. Le vieux burg est admirable. J’y ai fait trois dessins. Une porte, style Médicis, soutient une tour romane qui va crouler. Elle plie et fait ventre à droite et à gauche. Au fond de la ruine, une tour carrée du 10e siècle, tragique. À la porte de Brandebourg, un bas-relief romain en grès. Les savants du pays disent que c’est un autel du bœuf Apis, à qui un prêtre offre une pomme. C’est un zodiaque.


21 août. — Je suis allé à Roth. Vu l’église romane, malheureusement badigeonnée ; beaux piliers et beaux chapiteaux. Le portail, refait fâcheusement au 18e siècle par le grand-père de M. André de Roth, pourrait aisément être rétabli. On voit sous le plâtrage rococo les pleins cintres romans. Dans le cimetière, vieilles croix gothiques. Au coin du cimetière, un tilleul aussi vieux que l’église. Un chicot du tronc dessine une gueule d’hydre ou du moins de grosse bête de la mer. Ce monstre animal sortant de ce monstre végétal est curieux.

Nous partons demain pour Diekirch.


23 août. — Nous avons quitté Vianden. À 1 heure 18 j’ai perdu de vue la maison que j’habitais sur le pont et où ma fenêtre était restée ouverte.


24 août. — Nous sommes partis pour Esch-le-Trou. Arrivés à midi et demi. On descend une grande côte, on longe une rivière, la Sure (ainsi nommée parce qu’il n’y est jamais arrivé d’accident), on passe un tunnel creusé dans le roc vif, et l’on entre dans une vallée assez sauvage. Il y a là, au-dessus d’un village, un vieux burg ; une tour ronde et une tour carrée, toutes noires, se regardent des deux bords d’un précipice ; derrière la tour carrée s’échelonnent sur les crêtes du rocher trois ou quatre autres tronçons de tours. C’est du 10e siècle et très farouche. Nous sommes montés au burg. Il est habité. Les paysans ont remis aux tours effondrées des toits de paille, et ils ont fait du donjon une énorme chaumière. Revanche du village sur la seigneurie. Rien de fauve et de misérable comme ces intérieurs. Une fille couche là dans un trou sans vitre sur de la paille presque en plein air, hiver et été. J’ai vidé là mon porte-monnaie. J’ai fait quelques croquis de toute cette ruine. Nous étions de retour à Diekirch à 7 h. 1/4 par un beau soleil couchant.

Le tunnel d’Esch-le-Trou me rappelle la coupure faite à ciel ouvert au rocher qui fermait la vallée de Vianden, où est maintenant la frontière de Prusse. Ce rocher a été dur à couper. Il a fallu le pic et la mine. Un des