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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/95

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nefs autour des statues qui sont très nombreuses et la plupart admirables. Quelques-unes sont encore peintes de leur enluminure du seizième siècle. Dans la chapelle de la Vierge, il y a une Maris Stella sculptée en console que j’aurais voulu pouvoir dessiner. Malheureusement le temps me manquait. La vierge dans une étoile, les autres astres à l’entour, le vaisseau brisé, la mer furieuse, le port dans le fond, tout cela est ravissant. On répare en ce moment cette magnifique abbaye, mais mal.

Il y a sur la place du village un fort beau beffroi à quatre tourelles engagées. J’aurais bien désiré dessiner au moins cela, mais il fallait passer.

La route jusqu’à Doullens serpente sur les ondulations des grandes plaines, ce qui ennuie en général tout le monde et ce qui me plaît fort. De temps en temps on rencontre un vieux moulin vermoulu à ailes rouges. Les toiles sont coupées de manière à dessiner une étoile au centre de la croix que font les ailes. Il y a là-dessous quelque bonne et douce superstition. Maris Stella. — (Fais-toi expliquer ce latin par Toto.)

Doullens n’a rien fait pour son paysage qui est charmant. C’est une assez plate et insignifiante ville, coupée d’eau vive, enfoncée dans les arbres, environnée de belles collines. Pauvre tableau richement encadré. Il y a une citadelle à bastions, zigzags et contrescarpes, ce qui m’est fort égal. Vauban dans le paysage est fort bête. Je ne tolère les triangles et les carrés des forteresses modernes que dans Van der Meulen.

J’attendais mieux d’Arras. Je n’en suis qu’à demi content. Il y a bien deux places curieuses à pignons en volutes dans le style flamand-espagnol du temps de Louis XIII. Mais pas d’églises. — Je me trompe, un ignoble clocher comme celui de Saint-Jacques du Haut-Pas. J’ai voulu entrer dans cette église. Aucun moyen de l’ouvrir. Elle était triplement verrouillée. J’ai comparé cette sotte église revêche à une femme laide, et prude par-dessus le marché. Mais aussi que diable allais-je essayer d’entrer là ?

Sur l’une des places, la petite, il y a un charmant hôtel de ville du quinzième siècle accosté par un délicieux logis de la Renaissance. La façade serait admirable si les architectes du cru n’avaient eu l’idée de l’enjoliver, ce qui la fait ressembler à un décor gothique de l’ancien Ambigu. Maintenant ils refont la tour du beffroi. Comme ils vont coiffer ce pauvre édifice !

Je me laisse aller, chère amie, au bonheur de causer avec toi, et je m’aperçois que ma page est pleine. Il y a longtemps que mon dîner est froid, mais qu’importe. Il faut pourtant finir cette longue lettre. Écris-moi, mon Adèle. Donne ceci à Didine. Et puis donne-lui aussi mille baisers,