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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/177

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LIVRE HUITIÈME.
LE PROGRÈS INCLUS DANS LE COUP D'ÉTAT.


i
LA QUANTITÉ DE BIEN QUE CONTIENT LE MAL.

Parmi nous, démocrates, l’événement du 2 décembre a frappé de stupeur beaucoup d’esprits sincères. Il a déconcerté ceux-ci, découragé ceux-là, consterné plusieurs. J’en ai vu qui s’écriaient : Finis Poloniœ ! Quant à moi, puisque à de certains moments il faut dire Je, et parler devant l’histoire comme un témoin, je le proclame, j’ai vu cet événement sans trouble. Je dis plus, il y a des moments où, en présence du Deux-Décembre, je me déclare satisfait.

Quand je parviens à m’abstraire du présent, quand il m’arrive de pouvoir détourner mes yeux un instant de tous ces crimes, de tout ce sang versé, de toutes ces victimes, de tous ces proscrits, de ces pontons où l’on râle, de ces affreux bagnes de Lambessa et de Cayenne où l’on meurt vite, de cet exil où l’on meurt lentement, de ce vote, de ce serment, de cette immense tache de honte faite à la France et qui va s’élargissant tous les jours ; quand, oubliant pour quelques minutes ces douloureuses pensées, obsession habituelle de mon esprit, je parviens à me renfermer dans la froideur sévère de l’homme politique, et à ne plus considérer le fait, mais les conséquences du fait ; alors, parmi beaucoup de résultats désastreux sans doute, des progrès réels, considérables, énormes, m’apparaissent, et dans ce moment-là, si je suis toujours de ceux que le Deux-Décembre indigne, je ne suis plus de ceux qu’il afflige.

L’œil fixé sur de certains côtés de l’avenir, j’en viens à me dire : l’acte est infâme, mais le fait est bon. On a essayé d’expliquer l’inexplicable victoire du coup d’État de cent façons : — l’équilibre s’est fait entre les diverses résistances possibles et elles se sont neutralisées les unes par les autres ; — le peuple a eu peur de la bourgeoisie ; la bourgeoisie a eu peur du peuple ; — les faubourgs ont hésité devant la restauration de la majorité, craignant, à tort du reste, que leur victoire ne ramenât au pouvoir cette droite si profondément impopu-