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iv
AUTRES ACTES NOCTURNES.

Dans cette même nuit, sur tous les points de Paris s’accomplissaient des faits de brigandage ; des inconnus, conduisant des troupes armées, et armés eux-mêmes de haches, de maillets, de pinces, de leviers de fer, de casse-têtes, d’épées cachées sous leurs habits, de pistolets dont on distinguait les crosses sous les plis de leurs vêtements, arrivaient en silence autour d’une maison, investissaient la rue, cernaient les abords, crochetaient l’entrée, garrottaient le portier, envahissaient l’escalier, et se ruaient, à travers les portes enfoncées, sur un homme endormi ; et quand l’homme réveillé en sursaut demandait à ces bandits : Qui êtes-vous ? le chef répondait : Commissaire de police. Ceci arriva chez Lamoricière, qui fut colleté par Blanchet, lequel le menaça du bâillon ; chez Greppo, qui fut brutalisé et terrassé par Gronfier, assisté de six hommes portant une lanterne sourde et un merlin ; chez Cavaignac, qui fut empoigné par Colin, lequel, brigand mielleux, se scandalisa de l’entendre « jurer et sacrer » ; chez M. Thiers, qui fut saisi par Hubaut aîné, lequel prétendit l’avoir vu « trembler et pleurer », mensonge mêlé au crime ; chez Valentin, qui fut assailli dans son lit par Dourlens, pris par les pieds et par les épaules, et mis dans un fourgon de police à cadenas ; chez Miot, destiné aux tortures des casemates africaines ; chez Roger (du Nord) qui, vaillamment et spirituellement ironique, offrit du vin de Xérès aux bandits. Charras et Changarnier furent pris au dépourvu. Ils demeuraient, rue Saint-Honoré, presque en face l’un de l’autre, Changarnier au n° 3, Charras au n° 14. Depuis le 9 septembre, Changarnier avait congédié les quinze hommes armés jusqu’aux dents par lesquels il se faisait garder la nuit, et le 1er décembre, Charras, nous l’avons dit, avait déchargé ses pistolets. Ces pistolets vides étaient sur sa table quand on vint le surprendre. Le commissaire de police se jeta dessus. — Imbécile, lui dit Charras, s’ils avaient été chargés, tu serais mort. Ces pistolets, nous notons ce détail, avaient été donnés à Charras lors de la prise de Mascara, par le général Renault, lequel, au moment où le coup d’État arrêtait Charras, était à cheval dans la rue pour le service du coup d’État. Si les pistolets fussent restés chargés et si le général Renault eût eu la mission d’arrêter Charras, il eût été curieux que les pistolets de Renault tuassent Renault. Charras, certes, n’eût pas hésité. Nous avons déjà indiqué les noms de ces coquins de police, les répéter n’est pas inutile. Ce fut le nommé Courteille qui arrêta Charras,