Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/385

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L’autre l’interrompit impétueusement : — Un homme n’est pas le peuple !

Et se tournant vers moi :

— Citoyen Victor Hugo, on marchera. Si tous ne marchent pas, il y en aura qui marcheront. À vrai dire, ce n’est peut-être pas ici qu’il faut commencer, c’est de l’autre côté de l’eau.

Et s’arrêtant brusquement :

— Après ça, vous n’êtes pas obligé de savoir mon nom.

Il tira de sa poche un petit portefeuille, en arracha un morceau de papier, y écrivit son nom au crayon et me le remit. Je regrette d’avoir oublié ce nom. C’était un ouvrier mécanicien. Afin de ne pas le compromettre, j’ai brûlé ce papier, avec beaucoup d’autres, le samedi matin quand je fus au moment d’être pris.

— Monsieur, dit Auguste, c’est vrai ; il ne faudrait pas mal juger le faubourg. Comme dit mon ami, il ne partira peut-être pas le premier, mais si on se lève, il se lèvera.

Je m’écriai : – Et qui voulez-vous qui soit debout, si le faubourg Saint-Antoine est à terre ? qui sera vivant si le peuple est mort !

L’ouvrier mécanicien alla à la porte de la rue, s’assura qu’elle était bien fermée, puis revint, et dit :

— Il y a beaucoup d’hommes de bonne volonté. Ce sont les chefs qui manquent. Ecoutez, citoyen Victor Hugo, je puis vous dire cela à vous… – et il ajouta en baissant la voix : – J’espère un mouvement pour cette nuit.

— Où ?

— Au faubourg Saint-Marceau.

— À quelle heure ?

— À une heure.

— Comment le savez-vous ?

— Parce que j’en serai.

Il reprit : – Maintenant, citoyen Victor Hugo, s’il y a un mouvement cette nuit dans le faubourg Saint-Marceau, voulez-vous le diriger ? Y consentez-vous ?

— Oui.

— Avez-vous votre écharpe ?

Je la tirai à demi de ma poche. Son œil rayonna de joie.

— C’est bien, dit-il, le citoyen a ses pistolets, le représentant a son écharpe. Tout le monde est armé.

Je le questionnai : — Êtes-vous sûr de votre mouvement pour cette nuit ?

Il me répondit : – Nous l’avons préparé, et nous y comptons.