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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome II.djvu/107

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du Petit-Carreau montèrent sur leur monceau de pavés et jetèrent d’une seule voix au milieu de la nuit ce cri éclatant  : Vive la République !

Rien ne leur répondit.

Ils entendirent seulement le bataillon charger les armes.

Il se fit parmi eux une sorte de branle-bas de combat. Ils étaient tous écrasés de fatigue, sur pied depuis la veille, portant des pavés ou combattant, la plupart n’ayant ni mangé ni dormi.

Charpentier dit à Jeanty Sarre :

— Nous allons être tous tués.

— Parbleu ! dit Jeanty Sarre.

Jeanty Sarre fit. fermer la porte du marchand de vin, afin que leur barricade, entièrement plongée dans l’obscurité, leur laissât quelque avantage sur la barricade occupée par les soldats et éclairée.

Cependant le 51e fouillait les rues, portait les blessés aux ambulances, et prenait position dans la double barricade Mauconseil. Une demi-heure s’écoula ainsi.

Maintenant, pour bien se faire une idée de ce qui va suivre, il faut se représenter, dans cette rue silencieuse, dans cette noirceur de la nuit, à soixante ou quatre-vingts mètres d’intervalle, à portée de la voix, ces deux redoutes se faisant face et pouvant, comme dans une Iliade, s’adresser la parole.

D’un côté l’armée, de l’autre le peuple ; les ténèbres sur tout.

L’espèce de trêve qui précède toujours les chocs décisifs tirait à sa fin. Les préparatifs étaient terminés de part et d’autre. On entendait les soldats se créneler et les capitaines donner des ordres. Il était évident que la lutte allait s’engager.

— Commençons, dit Charpentier ; et il arma sa carabine.

Denis lui retint le bras. – Attendez, dit-il.

On vit alors une chose épique.

Denis gravit lentement les pavés de la barricade, monta jusqu’au sommet, et s’y dressa debout, sans armes, tête nue.

De là il éleva la voix, et faisant face aux soldats, il leur cria : – Citoyens !

Il y eut à ce mot une sorte de tressaillement électrique qu’on sentit d’une barricade à l’autre. Tous les bruits cessèrent, toutes les voix se turent, il se fit des deux côtés un silence profond, religieux, solennel. A la lueur lointaine des quelques fenêtres illuminées, les soldats entrevoyaient vaguement un homme debout au-dessus d’un amas d’ombre, comme un fantôme qui leur parlait dans la nuit.

Denis continua :

— Citoyens de l’armée ! écoutez-moi.