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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome II.djvu/55

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XI. La Barricade de la rue Meslay

La première barricade de la rue Saint-Martin fut construite à la hauteur de la rue Meslay. On renversa une grande charrette, on la coucha en travers de la rue et l’on dépava la chaussée ; quelques dalles de trottoirs même furent arrachées. Cette barricade, tête de défense de toute la rue insurgée, ne pouvait être qu’un obstacle momentané. Nulle part les pavés n’y dépassaient la hauteur d’homme. Sur tout un grand tiers de la barricade, ils ne montaient pas au-dessus du genou. – Cela sera toujours bon pour s’y faire tuer, disait un gamin qui y roulait force pavés. Une centaine de combattants prirent position derrière. Vers neuf heures les mouvements de troupes annoncèrent l’attaque. Les têtes de la colonne de la brigade Marulaz occupèrent l’angle de la rue du côté du boulevard. Une pièce de canon enfilant toute la rue fut mise en batterie devant la Porte Saint-Martin. On s’observa quelque temps des deux parts dans ce silence bourru qui précède le choc, la troupe regardant la barricade hérissée de fusils, la barricade regardant le canon béant. Bientôt l’ordre de l’attaque générale fut donné. Le feu commença. Le premier boulet passa par-dessus la barricade et frappa en pleine poitrine, à vingt pas en arrière, une femme qui passait. Elle tomba éventrée. Le feu devint vif, sans endommager beaucoup la barricade. La pièce était trop près, les boulets portaient trop haut. Les combattants, qui n’avaient pas encore perdu un homme, recevaient chaque boulet au cri de : Vive la République ! mais sans tirer. Ils avaient peu de cartouches et ils les ménageaient. Tout à coup le 49e régiment déboucha en colonne serrée.

La barricade fit feu.

La fumée emplit la rue ; quand elle se dissipa, on vit une dizaine d’hommes sur le pavé et les soldats se repliant en désordre le long des maisons. Le chef de la barricade, qui était Jeanty Sarre, cria : Ils lâchent pied. Arrêtez le feu ! ne perdons pas une balle.

La rue resta quelque temps déserte. Le feu de la pièce recommença. Un boulet arrivait de deux en deux minutes, mais portait toujours mal. Un homme qui avait un fusil de chasse s’approcha du chef de la barricade et lui dit : – Démontons la pièce. Tuons les canonniers. – Pourquoi ? dit le chef en souriant. Ils ne nous font pas de mal, ne leur en faisons pas.

Cependant on entendait distinctement le clairon au delà du massif de maisons