Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome II.djvu/63

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XIV. Ossian et Scipion

Les arrestations se multipliaient.

Vers midi, un commissaire de police, nommé Boudrot, se présenta au divan de la rue Le Peletier. Il était accompagné de l’agent Delahodde. Delahodde était cet écrivain socialiste traître qui, démasqué, avait dû passer de la police secrète dans la police publique. Je le connaissais, je note ce détail ; en 1832, il était maître d’études dans l’école où allaient mes deux fils, enfants, et il m’avait adressé des vers. En même temps il m’espionnait. Le divan Le Peletier était le lieu de réunion de beaucoup de journalistes républicains. Delahodde les connaissait tous. Un détachement de garde républicaine occupa les issues du café. Alors se fit l’inspection de tous les habitués, Delahodde marchant devant et le commissaire derrière. Deux gardes municipaux suivaient. De temps en temps Delahodde se retournait, et disait : Empoignez celui-ci. Ainsi furent arrêtés une vingtaine d’écrivains, parmi lesquels Hennett de Kesler [1]. Kesler était la veille à la barricade Saint-Antoine. Kesler dit à Delahodde : – Vous êtes un misérable. – Et vous un ingrat, dit Delahodde. Je vous sauve la vie. Parole singulière, car il est difficile de croire que Delahodde fût dans le secret de ce qui allait se passer dans cette fatale journée du 4.

Au siège du comité, on nous transmettait de toutes parts des indices encourageants. Testelin, représentant de Lille, n’est pas seulement un homme savant, c’est un homme vaillant. Le 3 au matin, il était arrivé peu de temps après moi à la barricade Saint-Antoine, où Baudin venait d’être tué. Tout était fini de ce côté-là. Testelin était accompagné de Charles Gambon [2], autre homme intrépide. Les deux représentants errèrent dans les rues agitées et profondes, peu suivis, point compris ; cherchant une fermentation d’insurgés, et ne trouvant qu’un fourmillement de curieux. Testelin pourtant, venu au comité, nous fit part de ceci : Au coin d’une rue du faubourg Saint-Antoine, Gambon et lui avaient aperçu un rassemblement. Ils y étaient allés. Ce rassemblement lisait une affiche placardée au mur. C’était un appel aux armes signé Victor Hugo. Testelin demanda à Gambon : – Avez-vous un crayon ? – Oui, dit Gambon. – Testelin prit le crayon, s’approcha de l’affiche, et écrivit son nom au-dessous du mien, puis

  1. Mort en exil, à Guernesey. Voir Actes et paroles. Pendant l’exil.
  2. Mort en exil, à Termonde.