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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome II.djvu/85

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pas lui-même tout à fait. Ceux qui étudiaient ce curieux animal impérial n’allaient pas jusqu’à le croire capable de férocité pure et simple. On voyait en lui on ne sait quel être mixte, appliquant des talents d’escroc à des rêves d’empire, qui, même couronné, serait filou, qui ferait dire d’un parricide : Quelle friponnerie ! incapable de prendre pied sur un sommet quelconque, même d’infamie ; toujours à mi-côte, un peu au-dessus des petits coquins, un peu au-dessous des grands malfaiteurs. On le croyait apte à faire tout ce qu’on fait dans les tripots et dans les cavernes, mais avec cette transposition qu’il tricherait dans la caverne et qu’il assassinerait dans le tripot.

Le massacre du boulevard déshabilla brusquement cette âme. On la vit telle qu’elle était ; les sobriquets ridicules, Gros-Bec, Badinguet, s’évanouirent ; on vit le bandit ; on vit le vrai Contrafatto caché dans le faux Bonaparte.

Il y eut un frisson. C’est donc là ce que cet homme tenait en réserve !

On a essayé des apologies. Elles ne pouvaient qu’échouer. Louis Bonaparte est simple, on a bien loué Dupin ; mais le nettoyer, c’est là une opération compliquée. Que faire du 4 décembre ? Comment s’en tirer ? Justifier est plus malaisé que glorifier ; l’éponge travaille plus difficilement que l’encensoir ; les panégyristes du coup d’État ont perdu leur peine. Madame Sand elle-même, grande âme pourtant, a tenté une réhabilitation attristante ; mais toujours, quoi qu’on fasse, le chiffre des morts reparaît à travers ce lavage.

Non, non, aucune atténuation n’est possible. Infortuné Bonaparte ! le sang est tiré, il faut le boire.

Le fait du 4 décembre est le plus colossal coup de poignard qu’un brigand lâché dans la civilisation ait jamais donné, nous ne disons pas à un peuple, mais au genre humain tout entier. Le coup fut monstrueux, et terrassa Paris. Paris terrassé, c’est la conscience, c’est la raison, c’est toute la liberté humaine terrassée. C’est le progrès des siècles gisant sur le pavé. C’est le flambeau de justice, de vérité et de vie, retourné et éteint. Voilà ce que fit Louis Bonaparte le jour où il fit cela.

Le succès du misérable fut complet. Le 2 décembre était perdu ; le 4 décembre sauva le 2 décembre. Ce fut quelque chose comme Erostrate sauvant Judas. Paris comprit que tout n’avait pas été dit en fait d’horreur ; et qu’au delà de l’oppresseur, il y a le chourineur. Voilà ce que c’est qu’un escarpe volant le manteau de césar. Cet homme était petit, soit, mais effroyable. Paris consentit à cet effroi, renonça à avoir le dernier mot, se coucha, et fit le mort. Il y eut de l’asphyxie dans l’événement. Ce crime ne ressemblait à rien. Quiconque, même après des siècles, fût-il Eschyle ou Tacite, en soulèvera le couvercle, en sentira la fétidité. Paris se résigna, Paris abdiqua, Paris