Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome II.djvu/105

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Car Dieu mit ces degrés aux fortunes humaines.
Les uns vont tout courbés sous le fardeau des peines ;
Au banquet du bonheur bien peu sont conviés.
Tous n’y sont point assis également à l’aise.
Une loi, qui d’en bas semble injuste et mauvaise,
Dit aux uns : Jouissez ! aux autres : Enviez !

Cette pensée est sombre, amère, inexorable,
Et fermente en silence au cœur du misérable.
Riches, heureux du jour, qu’endort la volupté,
Que ce ne soit pas lui qui des mains vous arrache
Tous ces biens superflus où son regard s’attache ; —
Oh ! que ce soit la charité !

L’ardente charité, que le pauvre idolâtre !
Mère de ceux pour qui la fortune est marâtre,
Qui relève et soutient ceux qu’on foule en passant,
Qui, lorsqu’il le faudra, se sacrifiant toute,
Comme le Dieu martyr dont elle suit la route,
Dira : Buvez ! mangez ! c’est ma chair et mon sang.

Que ce soit elle, oh ! oui, riches ! que ce soit elle
Qui, bijoux, diamants, rubans, hochets, dentelle,
Perles, saphirs, joyaux toujours faux, toujours vains,
Pour nourrir l’indigent et pour sauver vos âmes,
Des bras de vos enfants et du sein de vos femmes
Arrache tout à pleines mains !

Donnez, riches ! L’aumône est sœur de la prière.
Hélas ! quand un vieillard, sur votre seuil de pierre,
Tout roidi par l’hiver, en vain tombe à genoux ;
Quand les petits enfants, les mains de froid rougies,
Ramassent sous vos pieds les miettes des orgies,
La face du Seigneur se détourne de vous.

Donnez ! afin que Dieu, qui dote les familles,
Donne à vos fils la force, et la grâce à vos filles ;