Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome II.djvu/391

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Il te manque la ride et l’antiquité fière,
Le passé, pyramide où tout siècle a sa pierre,
Les chapiteaux brisés, l’herbe sur les vieux fûts ;
Il manque sous ta voûte où notre orgueil s’élance
Ce bruit mystérieux qui se mêle au silence,
Le sourd chuchotement des souvenirs confus !

La vieillesse couronne et la ruine achève.
Il faut à l’édifice un passé dont on rêve,
Deuil, triomphe ou remords.
Nous voulons, en foulant son enceinte pavée,
Sentir dans la poussière à nos pieds soulevée
De la cendre des morts !

Il faut que le fronton s’effeuille comme un arbre.
Il faut que le lichen, cette rouille du marbre,
De sa lèpre dorée, au loin couvre le mur ;
Et que la vétusté par qui tout art s’efface,
Prenne chaque sculpture et la ronge à la face,
Comme un avide oiseau qui dévore un fruit mûr.

Il faut qu’un vieux dallage ondule sous les portes,
Que le lierre vivant grimpe aux acanthes mortes,
Que l’eau dorme aux fossés,
Que la cariatide, en sa lente révolte,
Se refuse, enfin lasse, à porter l’archivolte,
Et dise : C’est assez !

Ce n’est pas, ce n’est pas entre des pierres neuves
Que la bise et la nuit pleurent comme des veuves.
Hélas ! d’un beau palais le débris est plus beau.
Pour que la lune émousse à travers la nuit sombre
L’ombre par le rayon et le rayon par l’ombre,
Il lui faut la ruine à défaut d’un tombeau !

Voulez-vous qu’une tour, voulez-vous qu’une église
Soient de ces monuments dont l’âme idéalise