Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome II.djvu/466

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Jusque dans les enfants trouvant de noirs écueils,
Doute auprès des berceaux comme auprès des cercueils ?

Voyez : cet homme est juste, il est bon ; c’est un sage.
Nul fiel intérieur ne verdit son visage ;
Si par quelques endroits son cœur est déjà mort,
Parmi tous ses regrets il n’a pas un remord ;
Les ennemis qu’il a, s’il faut qu’il s’en souvienne,
Lui viennent de leur haine et non pas de la sienne ;
C’est un sage - du temps d’Aurèle ou d’Adrien.
Il est pauvre, et s’y plaît. Il ne tombe plus rien
De sa tête vieillie aux rumeurs apaisées,
Rien que des cheveux blancs et de douces pensées.
Tous les hommes pour lui d’un seul flanc sont sortis,
Et, frère aux malheureux, il est père aux petits.
Sa vie est simple, et fuit la ville qui bourdonne.
Les champs où tout guérit, les champs où tout pardonne,
Les villageois dansant au bruit des tambourins,
Quelque ancien livre grec où revivent sereins
Les vieux héros d’Athène et de Lacédémone,
Les enfants rencontrés à qui l’on fait l’aumône,
Le chien à qui l’on parle et dont l’œil vous comprend,
L’étude d’un insecte en des mousses errant,
Le soir, quelque humble vieille au logis ramenée :
Voilà de quels rayons est faite sa journée.
Chaque jour, car pour lui chaque jour passe ainsi,
Quand le soleil descend, il redescend aussi ;
Il regagne, abordé des passants qui l’accueillent,
Son toit sur qui, l’hiver, de grands chênes s’effeuillent.
Si sa table, où jamais rien ne peut abonder,
N’a qu’un maigre repas, il sourit, sans gronder
La servante au front gris, qui sous les ans chancelle,
A qui manque aujourd’hui la force et non le zèle ;
Puis il rentre à sa chambre où le sommeil l’attend.
Et là, seul, que fait-il ? lui, ce juste content ?
Lui, ce cœur sans désirs, sans fautes et sans peines ?
Il pense, il rêve, il doute… - O ténèbres humaines !