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XXXII




Ô Muse, contiens-toi ! muse aux hymnes d’airain !
Muse de loi juste et du droit souverain !
Toi dont la bouche abonde en mots trempés de flamme,
Etincelles de feu qui sortent de ton âme,

Oh ! ne dis rien encore et laisse-les aller !
Attends que l’heure vienne où tu puisses parler.
Endure le spectacle en vierge résignée.
Qu’à peine un mouvement de ta lèvre indignée.
Révèle ton courroux au fond du cœur grondant.
Dans ce siècle où chacun, noyant ou fécondant,
Se répand au hasard comme l’eau d’un orage,
Où l’on ne voit partout qu’impuissance et que rage,
Qu’inutiles fardeaux qu’on s’obstine à rouler,
Que Samsons écrasés sous ce qu’il font crouler,
Le plus fort est celui qui tient sa force en bride.
L’océan quelquefois montre à peine une ride.
Jusqu’au jour d’éclater, plus proche qu’on ne croit,
Ne te dépense pas. Qui se contient s’accroît.

Aie au milieu de tous l’attitude élevée
D’une lente déesse à punir réservée,
Qui, recueillant sa force ainsi qu’un saint trésor,
Pourrait depuis longtemps et ne veut pas encor !

Va cependant ! — contemple et le ciel et le monde.
Et que tous ceux qui font quelque travail immonde,
Que ces trafiquants vils épris d’un sac d’argent,
Que ces menteurs publics, au langage changeant,
Pleins de méchanceté dans leur âme hypocrite
Et dorés au dehors de quelque faux mérite,
Toux ceux, grands et petits, que marque un sceau fatal,
Que l’envieux bâtard accroupi dans le mal,