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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome II.djvu/90

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LES FEUILLES D’AUTOMNE


Restons où nous voyons. Pourquoi vouloir descendre,
Et toucher ce qu’on rêve, et marcher dans la cendre ?
Que ferons-nous après ? où descendre ? où courir ?
Plus de but à chercher ! plus d’espoir qui séduise !
De la terre donnée à la terre promise
Nul retour ! et Moïse a bien fait de mourir !

Restons loin des objets dont la vue est charmée.
L’arc-en-ciel est vapeur, le nuage est fumée.
L’idéal tombe en poudre au toucher du réel.
L’âme en songes de gloire ou d’amour se consume.
Comme un enfant qui souffle en un flocon d’écume,
Chaque homme enfle une bulle où se reflète un ciel.

Frêle bulle d’azur, au roseau suspendue,
Qui tremble au moindre choc et vacille éperdue !
Voilà tous nos projets, nos plaisirs, notre bruit !
Folle création qu’un zéphyr inquiète !
Sphère aux mille couleurs, d’une goutte d’eau faite !
Monde qu’un souffle crée et qu’un souffle détruit !

Rêver, c’est le bonheur ; attendre, c’est la vie.
Courses ! pays lointains ! voyages ! folle envie !
C’est assez d’accomplir le voyage éternel.
Tout chemine ici-bas vers un but de mystère.
— Où va l’esprit dans l’homme ? Où va l’homme sur terre ?
Seigneur ! Seigneur ! — Où va la terre dans le ciel ?

Le saurons-nous jamais ? — Qui percera nos voiles,
Noirs firmaments, semés de nuages d’étoiles ?
Mer, qui peut dans ton lit descendre et regarder ?
Où donc est la science ? Où donc est l’origine ?
Cherchez au fond des mers cette perle divine,
Et, l’océan connu, l’âme reste à sonder !

Que faire et que penser ? — Nier, douter, ou croire ?
Carrefour ténébreux ! triple route ! nuit noire !