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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome III.djvu/238

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LES MISÉRABLES. — FANTINE.

Perpétue, c’était le cierge à côté de la chandelle. Vincent de Paul a divinement fixé la figure de la sœur de charité dans ces admirables paroles où il mêle tant de liberté à tant de servitude : « Elles n’auront pour monastère que la maison des malades, pour cellule qu’une chambre de louage, pour chapelle que l’église de leur paroisse, pour cloître que les rues de la ville ou les salles des hôpitaux, pour clôture que l’obéissance, pour grille que la crainte de Dieu, pour voile que la modestie. » Cet idéal était vivant dans la sœur Simplice. Personne n’eût pu dire l’âge de la sœur Simplice ; elle n’avait jamais été jeune et semblait ne devoir jamais être vieille. C’était une personne — nous n’osons dire une femme — calme, austère, de bonne compagnie, froide, et qui n’avait jamais menti. Elle était si douce qu’elle paraissait fragile ; plus solide d’ailleurs que le granit. Elle touchait aux malheureux avec de charmants doigts fins et purs. Il y avait, pour ainsi dire, du silence dans sa parole ; elle parlait juste le nécessaire, et elle avait un son de voix qui eût tout à la fois édifié un confessionnal et enchanté un salon. Cette délicatesse s’accommodait de la robe de bure, trouvant à ce rude contact un rappel continuel du ciel et de Dieu. Insistons sur un détail. N’avoir jamais menti, n’avoir jamais dit, pour un intérêt quelconque, même indifféremment, une chose qui ne fût la vérité, la sainte vérité, c’était le trait distinctif de la sœur Simplice ; c’était l’accent de sa vertu. Elle était presque célèbre dans la congrégation pour cette véracité imperturbable. L’abbé Sicard parle de la sœur Simplice dans une lettre au sourd-muet Massieu. Si sincères, si loyaux et si purs que nous soyons, nous avons tous sur notre candeur au moins la fêlure du petit mensonge innocent. Elle, point. Petit mensonge, mensonge innocent, est-ce que cela existe ? Mentir, c’est l’absolu du mal. Peu mentir n’est pas possible ; celui qui ment, ment tout le mensonge ; mentir, c’est la face même du démon ; Satan a deux noms, il s’appelle Satan et il s’appelle Mensonge. Voilà ce qu’elle pensait. Et comme elle pensait, elle pratiquait. Il en résultait cette blancheur dont nous avons parlé, blancheur qui couvrait de son rayonnement même ses lèvres et ses yeux. Son sourire était blanc, son regard était blanc. Il n’y avait pas une toile d’araignée, pas un grain de poussière à la vitre de cette conscience. En entrant dans l’obédience de saint-Vincent de Paul, elle avait pris le nom de Simplice par choix spécial. Simplice de Sicile, on le sait, est cette sainte qui aima mieux se laisser arracher les deux seins que de répondre, étant née à Syracuse, qu’elle était née à Ségeste, mensonge qui la sauvait. Cette patronne convenait à cette âme.

La sœur Simplice, en entrant dans l’ordre, avait deux défauts dont elle s’était peu à peu corrigée ; elle avait eu le goût des friandises et elle avait aimé à recevoir des lettres. Elle ne lisait jamais qu’un livre de prières en