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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome III.djvu/388

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PRÉFACE PHILOSOPHIQUE.


[IV]

Revenons à ce seuil du sépulcre où nous avions aperçu l’âme et où nous nous étions arrêtés.

C’est là l’Inconnu, disions-nous. Oui, mais le souffle qui a vacillé sous notre crâne y persiste. La palpitation humaine est mêlée à ces ténèbres. Le fil humain entre dans la tombe et ne s’y casse pas ; on l’y sent flotter avec une mystérieuse ondulation d’infini. Le moi libre sur la terre sent au delà de la terre le moi responsable, et s’en inquiète. L’homme moral survit à l’homme matériel, et s’en va dans l’ultérieur sans sa chair et avec ses actions.

Ou il faut nier tout ce qui a été déduit plus haut, c’est-à-dire déclarer l’égalité de l’homme et de la bête, l’identité de l’homme et de la chose, et ce qui s’ensuit, c’est-à-dire le néant de la liberté et l’innocence du tyran, ou il faut proclamer cela, dis-je, ou il faut admettre l’âme. Et admettre l’âme, j’y insiste, c’est admettre le lien de l’homme avec l’Inconnu, la confrontation de la liberté avec la responsabilité après la mort, le face à face sépulcral du moi avec la Cause.

Oui, c’est là l’Inconnu ; mais cet Inconnu est le gouffre de la logique immense, et nous n’y devons pas jeter légèrement nos actions.

Et savez-vous quel est le crime de la peine de mort ? C’est qu’elle est une violence à cet Inconnu-là. Violer les ténèbres, quelle épouvante ! La peine de mort, c’est la voie de fait sur une âme ; c’est le rejet brusque d’une responsabilité à Dieu qui ne la réclame pas encore ; c’est le renvoi avant le rappel ; c’est la mutilation, dans une destinée humaine, du temps, arbre qui ne peut être émondé que par celui qui l’a planté ; c’est une sommation de fonctionner à heure fixe faite par la justice humaine à la justice divine, par Zéro à Tout ; c’est la myopie donnant un ordre au soleil ; c’est le lit du tombeau fait autrement qu’il ne doit l’être ; c’est le travail providentiel et sauveur du repentir et du remords arrêté dans une tête par la chute d’un couperet ; c’est Dieu interrompu dans l’homme.

Le sang ne suffit pas à l’horreur ; la preuve, c’est que, par une fatalité dont vous n’êtes pas responsable, vous en buvez et vous en mangez tous les jours, et vous appelez cela : bien dîner. La planche de l’échafaud est épouvantable, non parce qu’on y voit couler du sang, mais parce qu’on y voit ruisseler de l’âme.